Publié le 4 Février 2018

Aidan Sartin Conte - clic et clic

En garniture, trois tranches de kiwi se chevauchent légèrement.

Il en mange une.

Sur le bord de l’assiette, il en reste deux qu’il contemple fixement.

Regard bleu acier dans regard bigleux.

Il porte une deuxième tranche à sa bouche.

A présent, une unique rondelle à la pupille verte le scrute intensément.

Comme aspiré, il s’y engouffre et tout un monde lointain s’offre à lui.

Flou, flou, flou font les battements d’ailes d’un ara coloré.

La chaleur est lourde puis est soudain allégée par une écume fraîche qui rejaillit sur sa peau étrangement dénudée de son habituel carcan vestimentaire.

La paresse le gagne, ne plus penser, se laisser aller, devenir doux comme le pelage de ce koala accroché mollement au regard vert.

Passe un papillon, un second. Vies éphémères le replongeant instantanément dans la sienne. Regard pers d’une gamine le suppliant. Fermer les yeux, rejeter cette prière.

Vite, se replonger dans l’œil vert, oublier ce caïman aux dents pointues qu’il est. Qu’il était ? Il ne sait plus…

Un oiseau, kiwi à la vue médiocre, réussit pourtant à dénicher son cœur. En cadence, il picore, encore, encore, ignorant le scarabée, proie d’or suspendue à proximité.

Le cœur se fait dur. Ne plus palpiter à tout rompre.

Survie.

Sur Vie.

Vie innocente.

Vie volée.

L’oiseau s’entête, casse enfin la carapace de pierre.

Des larmes coulent libératrices sur le visage barbu de l’homme.

Il les essuie furtivement.

Son regard quitte le regard vert, délaisse l’assiette sur la table et se porte vers le léger rayon d’un soleil parcimonieux filtrant de la fenêtre garnie de treillis.

Pour la première fois depuis des mois de captivité, l’homme s’avoue enfin ses errements fous.

Le guichet de la porte barricadée s’ouvre, le plateau-repas y est posé d’une main tremblante.

La dernière tranche de fruit est expédiée dans la poubelle des déchets végétaux.

Dans six mois, dans un an, elle sera terreau d’une autre vie.

------------------------

Pour Mil et une - clic - février 2018

Voir les commentaires

Publié le 26 Janvier 2018

Et cela continue, encore et encore... (clic et clic)

L'actualité repasse les plats rances. Le chaud et l'effroi sont au menu une fois de plus.

Et moi ?

Moi, j'ai le blues et je réédite un texte écrit en 2010 et publié ici en 2012.

2010 :1672 emplois perdus chez Carrefour Belgique

début 2018 :1233 emplois à supprimer chez Carrefour Belgique                            

Même combat !

-----------

Jean-Luc, Martine, Dany, Chantal, Jean-Yves, Guido, Colette, Françoise ...

Tout le monde il est beau ! Tout le monde il est beau ! Marc, Marie-Christine, Sabine, Ulla…tout le monde il est beau….

Joëlle, Jonathan, Myriam, Béatrice… et puis, Elle, la mille six cent septante deuxième… Elle qui chantonne comme Zazie.

 

Ploc ! fait une goutte d’eau dans l’évier.

Marie, Jean, Nicole, Brigitte, Christian, chante-Elle

Ploc ! fait la goutte suivante.

Elle se fiche de ce bruit monotone comme elle se fiche de la table encombrée des reliefs du petit-déjeuner et du café qui vieillit dans le percolateur.

Faudrait aérer les chambres à coucher, trier le linge sale, l’engouffrer dans le lave-linge, vider le lave-vaisselle, rafraîchir la salle de bains… Faudrait…

 

Mille six cent septante deux !… 1672 ?…

Google lui répond :

Louis XIV - Guillaume III d’Orange - Batailles - Traité de Nimègue

Rien de neuf sous le soleil.

« Tout le monde il est beau »

 

Ploc ! fait l’eau têtue.

Miaou ! fait le chat.

Pour son vieux compagnon elle daigne se lever de sa chaise, entrouvre la porte donnant sur la terrasse et le laisse sortir. Il pleut.

Elle allume la télé, coupe le son, regarde les images sans les voir vraiment puis elle saisit un livre, le redépose… faudrait aller à la bibliothèque, à la boulangerie… faudrait… mais elle paresse.

 

« La jeune fille rebelle » Ce titre l’attire à nouveau. Elle reprend le livre, le caresse et se souvient de cette après-midi pas si lointaine où elle a savouré sa lecture, la comparant à un caramel tendre qui lentement fond dans la bouche. Il neigeait… les oiseaux envahissaient la mangeoire. C’était il y a un siècle, une éternité. Elle n’était pas encore la mille six cent septante deuxième.

« Tout le monde il est beau »

 

Elle s’allonge dans le divan parmi les coussins moelleux, ne pense à rien, n’imagine rien. Son corps et son cœur sont lourds. Mal… mal dans sa peau… Elle s’attarde, elle musarde, elle flemmarde, elle lézarde et c’est bien ainsi.

Guy, Marguerite, Edgard, Monique, Josiane, Roger… la liste est longue… Elle n’en connaît qu'une centaine parmi les mille six cent septante et un. Comme eux elle est à un Carrefour de sa vie, comme eux, elle fait partie de ces petits travailleurs besogneux sacrifiés sur l’autel de la rentabilité effrénée.

« Tout le monde il est beau »

 

Tout à l’heure, elle ira rejoindre le groupe.

Tout à l’heure, elle fera partie du piquet de grève.

Faut pas prendre les salariés pour des « gogo’s » et s’en débarrasser comme on le fait avec ces jouets "offerts" contre un passage aux caisses de l'hypermarché. Faut pas ! Mais pour l’heure, elle paresse c’est sa seule défense. 

 

 

Ploc ! Ploc ! Goutte après goutte l’eau remplit l’évier.

Miaou ! Le chat se frotte contre la vitre, il veut rentrer.

 

mars 2010 - janvier 2018

 

-----------------------------------------

Voir les commentaires

Publié le 12 Janvier 2018

Yto Barrada - source image - clic

- Habille-toi chaudement et enfile tes bottes fourrées, j’ai besoin de ton aide, avait dit Papa.

Je n’avais pas répondu mais mon visage à lui seul devait exprimer mon dépit. Pourquoi me désigner moi et pas mon frère aîné, lui qui sautait sur le moindre prétexte pour s’échapper de la maison et fuir ses devoirs de math ou d’anglais ?

Maman, fine mouche, avait glissé dans ma poche sa petite lampe-torche tout en chuchotant : tu verras, tu n’en auras pas besoin.

Pas besoin, pas besoin !  Ecœurée, je ronchonnais entre mes dents. Mes parents ne savaient-ils pas que j’avais horreur de l’obscurité, qu’elle me tétanisait ? Pourquoi cet éboulement de terre bloquant la route avait-il eu lieu dans l’après-midi ? Pourquoi Papy s’obstinait-il à vivre seul dans cet endroit reculé ? Pourquoi était-il cloué dans son fauteuil par une terrible crise de sciatique ?

Alors que nous avions quitté le village et gravissions la colline à travers les pâturages, je m’obstinais dans mon dépit et dans mon refus de donner la main à mon père. Je n’étais plus une môme quand même, j’avais treize ans, il y allait de ma fierté !

Mon père ne disait mot, seul son souffle accentué par le poids du sac à dos me réconfortait quelque  peu. Dans ma poche, ma main enserrait la lampe-torche. Allais-je l’allumer ? Ma fierté, une fois de plus me freinait. Mon frère aurait dit : toi et ton fichu caractère de cochon !

Cochon ? Non, ce n’était pas un cochon qui venait d’émettre ce bruit qui m’avait fait sursauter, les cochons étaient enfermés dans la porcherie de Jacques, à l’autre bout du village…

- C’est une vache qui tousse dans la prairie à côté, bientôt le gel sera là et le père Blanchard rentrera le troupeau à l’étable, avait précisé Papa.

Brrr, un frisson m’a parcouru de la tête au pied et pourtant je n’avais pas froid, bien au contraire la marche activait mon sang, mais cette nuit noire semblait tellement hostile qu’elle m’étreignait dans son étau.

Comment mon père faisait-il pour se diriger si précisément vers les échaliers nous permettant de passer d’une parcelle à l’autre, comment ne butions-nous pas contre les haies d’épines et de sureau ? Avait-il des yeux de chat ?

Flisch, flisch, faisaient nos bottes dans l’herbe humide. Schh, schh, chuchotait le vent à nos oreilles. Hou, hou, ironisait un oiseau de nuit dérangé dans sa chasse par notre passage.

Alors que nous avions entamé la descente de l’autre versant de la colline un avion dans le ciel a semblé nous faire des clins d’œil de ses feux réguliers. Le renard vivant dans le trou Malbrought les observait-il lui aussi ?

Et les lièvres ? Les belettes et les fouines ? Tout ce petit monde de la nuit ?

-----------------

Papa est allé nourrir et soigner les lapins installés dans les clapiers abrités dans la grange. Les trois poules perturbées de rejoindre si tard leur abri n’ont pas manqué de faire entendre leur mécontentement. Papy, pour qui j’avais réchauffé le repas préparé par Maman, a ricané lui aussi. Ah ! Les canailles, elles ont eu peur de se faire croquer par maître Goupil !

J’ai risqué une question… Comment Papa, son fils, connaissait-il si bien la colline et dans le noir en plus ?

- Hé, hé, tout cela, c’est grâce à ta mère, il la rejoignait au village quasi tous les soirs et le chemin est plus court à travers tout. Ensuite…, une grimace de douleur a interrompu sa phrase, …ensuite, il a acheté une mobylette… mais tu sais on voit très bien avec ses oreilles et même en couleurs…

Voir avec ses oreilles ? La fièvre devait embrumer le cerveau de Papy !

Pourtant, sur le chemin du retour, alors que mon grand-père était enfin bien installé dans son lit, j'ai pensé que oui, on voyait très bien avec ses oreilles et j’ai pris la main de mon père que j’ai serrée furtivement mais très fort en chuchotant : merci d’avoir pu t’accompagner.

Quand j’ai déposé la lampe-torche sur la table Maman m’a lancé un regard pétillant de malice et mon frère a cru bon d'ironiser : alors, pas trop noire la nuit ?

Je ne lui ai pas tiré la langue ou fait un pied de nez, non, cette obscurité, étrangement, m’avait fait grandir….

-----------------------------

Pour Mil et une - clic

Voir les commentaires

Publié le 7 Novembre 2017

Léo Caillard - clic

Je m’appelle Vèbar, Vèvè pour les intimes, Babar pour les abrutis.

T’es qu’un corniaud, me serine mon maître. Enfin, maître, c’est lui qui le croit, moi, je n’ai ni dieu ni maître.

J’vais au bar, qu’il me dit en me flanquant un coup de pied dans les côtes devant l’entrée du Bidule, son bistro préféré.

J’vais au bar, c’est son expression favorite. Probable que je lui doive mon nom…

J’adore profiter de ma liberté pour fureter partout avec mes potes. Dans le terrain vague d’à côté il n’y a que de bonnes odeurs à sniffer. La Miguette est passée par ici, grommelle Jack en fermant les yeux de bonheur. Médor, tu parles d’un nom débile, n’a pas son pareil pour dégoter un os bien faisandé. J’ vous l’ dis, y a un dinosaure là-dessous, bafouille-t-il en salivant tant et plus. Dinosaure ? Ce qu’il ne faut pas entendre ! C’est juste l’un ou l’autre paumé du coin qui a enterré là un vieil os à moelle histoire d’alléger sa poubelle à puces.

Puces ? Zut, mon poil me démange rien que d’y penser. Faut dire que j’aurais besoin d’un petit coup de brosse. Bah ! Un bon bain de boue fera l’affaire et j’adore me rouler dans la boue. Parfois, la Miguette vient m’y rejoindre et nous batifolons tant et plus au point de ne faire plus qu’un. C’est qu’elle a le sang chaud, la bougresse !

D’autres fois, nous nous faufilons dans les impasses et les ruelles en laissant ici et là la preuve de notre passage. Les concierges ont à faire quand vient le matin mais nous, nous nous sentons les rois du monde. Nous nous amusons aussi à débusquer les canards endormis au bord de l’étang au centre du parc.  Quelle débandade !

Vers minuit et demi, je me pointe à nouveau devant le Bidule en guettant la sortie de mon maître. A cette heure, il tangue comme un vieux rafiot dans la tempête mais je suis son phare le plus fidèle. Il a beau être entamé plus que de raison et faire un raffut digne d’une fanfare de village je le ramène à bon port. En remerciement, je reçois un carré de sucre qu’il a dérobé sur le zinc du bar puis l’ingrat me claque la porte à la truffe.

Nirvana ! Je suis à nouveau libre comme l’air…

Hem ! En réalité, je me nomme Neige et je suis un caniche blanc de pure race. Ma maîtresse est folle de moi, je suis son plus cher trésor. Coupe à la lionne, manucure, gouttes dans les yeux, les oreilles, vaccins, vermifuge, tatouage, castration, régime alimentaire… rien n’est trop onéreux pour répondre à ses critères de beauté canine. Moi, je subis plus que je ne vis les séances de pose tout au long des concours auxquels elle m’inscrit, je n’ai hélas pas le choix de m’y opposer. Comment échapper à ce joug ? Je suis si délicat, je ne survivrais pas à une nuit passée au dehors.

La dernière folie en date est une séance de photos artistiques à laquelle participaient d’autres chiens racés. A présent, nous trônons dans une galerie d’art où des badauds crétins nous zieutent tout en se permettant l’une ou l’autre réflexion idiote et malvenue.

Pourtant aujourd’hui, une dame est installée face à ma photo.

Assise inconfortablement sur un petit trépied pliable, elle m’examine longuement et je me sens capturé jusqu’à l’âme par son regard bienveillant.

De son sac, elle extrait une tablette bizarre et lentement se met à dessiner à l’aide d’un étrange crayon.

Neige, caniche blanc, rien de plus banal à croquer !

Mais que vois-je apparaître sur l’écran qu’elle me présente ?

Vèbar, Vèvè pour les intimes, Babar pour les abrutis ! Ce vieux pote qui vit dans ma tête depuis si longtemps !

Enfin, je suis reconnu pour ce que je suis réellement, un corniaud, rien qu’un corniaud.

Bonheur !

Merci, belle dame !

----------------------------------

Pour Mil et une - sujet semaine 45/2017 

Georges chelon

Voir les commentaires

Publié le 7 Octobre 2017

Laura Muntz Lyall - clic

 

- Et pourquoi le prince s’appelle Charmant et pas Clément comme moi ?

- Charmant ce n’est pas son prénom. Charmant cela veut dire…euh… qu’il est…euh… beau et puis aimable.

- Ben, moi aussi, j’suis beau !… il s’appelle comment alors ?

- Je ne sais pas moi, comme tu veux…

- Pff, c’est nul les princes charmants !

Alice fermait le livre de contes offert par Mamy et je me blottissais un peu plus contre elle sachant déjà que sa voix et son imaginaire allaient m’emmener vers des contrées lointaines, peuplées de bêtes étranges et de tribus aux tenues bariolées.

Tout à son histoire inventée au fur et à mesure je faisais la sourde oreille quand Papa décrétait « il est l’heure d’aller vous coucher les enfants »

Alice me donnait un petit coup de coude « Dodo, Clément, je te raconterai la suite ou un autre histoire demain après le bain »

Restant sur ma faim, il m’arrivait parfois de la rejoindre dans son lit avec mille questions « Qu’est-il arrivé au tigre ? Et au petit Samda ?… Quand je serai grand, je serai explorateur et je te raconterai mes découvertes ! Et toi, tu épouseras le prince Charmant ? »

Ma sœur souriait ou me tirait la langue et me repoussait gentiment mais fermement. Le livre de contes et la lampe de poche l’attendaient sous la couette.

Alice est devenue institutrice et a rencontré Ben avec qui elle a fait deux beaux mômes.

Moi, je ne suis pas explorateur - qui a-t-il encore à découvrir de nos jours ? - mais je suis logisticien chez Médecins sans frontière pour qui je parcours le monde.

A chaque retour au pays nos retrouvailles sont l’occasion de papotes sans fin.

Pourtant il m’est arrivé un jour de la découvrir peu loquace, les yeux cernés, repliée sur elle-même.

A mes questions, son regard fuyait « Je t’assure tout va bien »

Enervé, j’ai lancé un peu rudement « Arrête de me raconter des histoires, Alice, je vois parfaitement que tu vas mal »

Elle a fondu en larmes, a dévoilé ses bras couverts de bleus et a avoué « Tu avais raison, Clément, il est nul le prince charmant »

Je l’ai soutenue tout au long de la procédure de divorce, si je n’étais pas présent, Internet nous permettait d’être en contact quasi permanent.

Je parcours toujours la planète, la misère est sans fin…

Alice est toujours enseignante mais elle vient de me présenter son nouveau bébé, un livre de contes qu’elle a écrit et si joliment illustré.

Alice est une princesse…

 

Pour Mil et une en septembre 2017 - clic

------------

Voir les commentaires

Publié le 30 Septembre 2017

  Quint Buchholz - clic

 

 

La grande migration débute à l’aube, à l’heure où la brume encotonne le paysage d’une douceur énigmatique.

 

C’est d’abord un vol d’oiseaux aux mouvements lents et réguliers. Flop, flop, flop !

Puis un deuxième, plus rapide. Fouuuu !

Et un troisième, énervé et bruyant de s’être laissé voler la vedette lui qui veut mener la danse céleste. Piououou, piououou !

 

Un cocorico sonore, surgi dont ne sait où, rappelle tous ces beaux emplumés à l’ordre, Maître Coq veille à l’ordonnance de la cérémonie.

 

C’est au tour de Victor, le musicien, de s’installer à même le pré pour saluer le lever du soleil. Au gré de son inspiration, la musique enrobe l’atmosphère, la pimente de mille arpèges tantôt joyeux, tantôt sobres puis s’élance dans une folle sarabande.

Des voix se joignent aux sons de la viole de gambe, précises, cadencées, lumineuses…

 

Puis un frou-frou délicat se répète encore, encore… frou, frou

Messire Escargot foule lentement la rosée et malgré sa taille imposante sa migration immuable ne dévie pas de sa trajectoire. Ses yeux mobiles clignotent de droite à gauche, de haut en bas semblant prévenir les alentours :

 

" Mesdames, Messieurs me voilà, ma maison est à votre disposition "

 

La viole magique est rangée dans son étui, les voix s’éteignent une à une.

 

Victor se lève, s’ébroue, saisit son sac à dos posé sur le banc et se met en marche.

Faisant fi de l’adversité du quotidien qui se rappelle à lui, il chantonne en pénétrant dans le métro.

 

Pour lui sa grande migration journalière commence !

 

(pour Mil et une en juillet 2016)

Voir les commentaires

Publié le 6 Septembre 2017

source image - clic

            Comme la nuit tombait, Gilles se décida à rentrer. Il aurait dû mettre des gants, un bonnet, une veste plus chaude ce qui lui aurait permis de flâner encore, de ne pas se sentir prisonnier dans le petit appartement à seulement dix-huit heures.

"Vivement l’été !" Il avait marmonné ces mots entre ses dents comme il le faisait de plus en plus souvent à propos de tout et de rien.

En entrouvrant la porte il prit une forte inspiration puis expira longuement, bruyamment, tout en s’ébrouant comme un jeune chiot, faisant danser ses longues boucles poivre et sel. Dans son bocal, le poisson rouge tournait, tournait, indifférent aux saisons et Jeanne vautrée dans l’unique divan, le regard rivé à l’écran de télé, sifflait son énième verre de Martini. Un ou deux par épisode d’une quelconque série américaine… Gilles avait abandonné l’idée d’en faire le décompte journalier. Les cadavres de bouteille tenaient seuls le rôle d’étalon et les voir alignés à même le carrelage du coin cuisine provoqua chez lui un violent haut-le-cœur. Comment pouvait-on boire de pareilles doses de ce breuvage infâme ? Comment sa compagne en était-elle arrivée là ?

- Tu es passé au supermarché ? interrogea Jeanne d’une voix pâteuse, ce que Gilles traduisit instantanément par : "Tu m’as rapporté mes bouteilles ?"

- J’ai acheté des œufs, du jambon et du pain. Je vais préparer une omelette.

- Pas faim, fut la seule réponse de Jeanne.

--------

Du boulevard pointaient quelques coups de klaxon joyeux. Gilles, de la fenêtre, découvrit son voisin de palier faisant de grands signes d’au revoir à l’adresse d’une voiture qui déjà prenait de la vitesse.

- Jules est de retour des sports d’hiver. Il est parti avec son fils et sa famille cette année.

Les ronflements de Jeanne et le bruit de fond de la télé furent le seul écho à ses paroles.  Gilles secoua à nouveau ses boucles poivre et sel. Il était bien loin le temps où Jeanne amoureuse farfouillait dans sa tignasse en lui disant "j’adore ta chevelure, mon Gilles…"

La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur une valise tenue par un Jules bronzé et resplendissant de contentement.

- Vous partez en vacances également, Jeanne et toi ? se réjouit Jules à la vue des deux valises entourant Gilles.

- Hé, hé !... Ciao ! se contenta de répondre celui-ci en s’engouffrant à son tour dans l’ascenseur.

Comme les cloches de Saint Saturnin sonnaient vingt-deux heures, le poisson rouge s’immobilisa dans le bocal et Gilles disparut à jamais de la ville.

---------------------------

Pour Mil et une en août 2017 - clic

 

Voir les commentaires

Publié le 27 Août 2017

A voir avant ou après lecture - clic

 

     Une belle rêvait d'avoir l’univers à ses pieds. Kata Balafa, célèbre génie, exauça son vœu en lui offrant une splendide robe-globe terrestre.

D’un simple mouvement de son corps souple elle eut désormais le pouvoir de tout chambouler : l’Est se perdant à l’Ouest, les océans mélangeant leurs eaux et les peuples s’enchevêtrant, l’anarchie risquait de trouver ces éléments à son goût. Consciente de sa responsabilité dans la bonne marche du monde la belle resta figée dans la même position durant les trente et un jours que dura le sortilège.

 

Kata Balafa la retrouva dépitée par l’expérience vécue et lui proposa quatre semaines de repos dans l’Empire du Milieu. Ravie, elle accepta mais pour tout loisir elle n’eut que les phases lunaires à observer. Quand enfin la pleine lune jeta des reflets plus vifs que les lanternes en papier, elle entendit rugir le dragon-lit sur lequel elle se vautrait, lascive, et comprit qu’il était l’heure de s’animer.

 

Un tam-tam africain lui rendit tout son dynamisme. Pieds nus, elle se trémoussa au cœur de la jungle luxuriante en compagnie de la joyeuse Malia. Le vent dans les palmiers donnait le rythme des jours et de cette longue escale elle ramena de superbes tapisseries et bois sculptés.

 

Kata Balafa persista dans l’esprit festif et l’emmena au carnaval de Venise. Coquine, elle se travestit en Marlène et, généreuse, distribua des colliers colorés aux curieux, subjugués par sa collection de masques. Dans le lointain déjà des cloches sonnaient…

 

Pour échapper à la pluie d’œufs colorés qui risquait de s’abattre, la belle  suggéra une escale au pays du soleil levant. Kata Balafa, bon prince, ne put éviter les clichés et elle se retrouva vêtue en geisha sous un cerisier en fleur.

Les pétales lentement laissèrent place aux premières feuilles mais l’ennui s’immisça. Heureusement, une métamorphose propice survint.

 

Les nuits, pourtant courtes en cette saison, lui parurent plus belles que ses jours tant elle s’éclata dans tous les bals aux lampions donnés en son honneur. Pour elle, Kata n’avait pas regardé à la dépense et, parée de falbalas, elle se sentit la reine de la fête au point de danser sur les tables jusqu’à l’extinction des étoiles dans le firmament.

 

Pour rendre grâce à la nature et en revenir à des considérations universelles elle émit le souhait de vivre le solstice d’été à Stonehenge. Elle en garda un souvenir ébloui et fut reconnaissante à son mentor au point d’adhérer à toutes les folies qu’il suggéra par la suite : voyage en barque ou en drakkar, tango langoureux, visite insolite à tous ses ancêtres parés comme des bijoux précieux et surtout chevauchée fantastique sur un splendide cheval à bascule caparaçonné des mille et un plis de sa tenue rouge.

 

A la fin de ce périple elle attendit en vain Kata Balafa au bord de la piscine du pays des rêves. Pourquoi le bon génie se détournait-il d’elle ? Avait-il déjà découvert une nouvelle muse ?

 

Toute à ses questions elle prit conscience de son épuisement et elle rejoignit enfin son domicile où son compagnon inquiet de son absence s’enquérait d’elle à tout vent…

 

Sans un regret pour cette vie factice d’égérie de calendrier, la belle se débarrassa de sa perruque blonde, prit un long bain parfumé, enfila ses vieilles mules et son peignoir élimé et se blottit contre son amoureux en murmurant : tu me sers une grenadine bien fraîche ?

- Pas de grenadine disponible, répondit le chéri, un Campari te convient-il ?

 

Jamais il ne comprit pourquoi elle éclata en sanglots…

------------------------

Pour Mil et une en mars 2014 - clic

Voir les commentaires

Publié le 6 Août 2017

Pierre Beteille - clic

Evidemment, c’est encore pour ma pomme !

Madame invite d’un ton suave "venez dîner samedi soir nous pourrons parler vacances (ou ceci, ou cela, les prétextes ne manquent pas) autour d’un bon plat. Oh, sans chichi, bien entendu !"

Bien entendu ! Bien entendu ! Vite dit mais quand elle hésite sur le menu les chichis commencent. "Que penses-tu d’un couscous… ou plutôt d’un savoureux veau marengo ? Mais pourquoi pas une bonne casserole de moules marinières avec des frites maison ? Un plat exotique conviendrait probablement mieux pour la saison ? Un barbecue, bof ! Banal ! Une salade variée c’est trop chiche. Pas envie de sauce trop riche…"

La semaine passe, moi je ne dis rien mais n’en pense pas moins.

"Cause ma belle, ton chéri veille à ta ligne"

Finies les viles flatteries : "Tu es vraiment un as du piano, Mamours"

Fini, plus de Mamours, plus de soliste aux fourneaux. Ma chérie il va falloir revoir ton vocabulaire et ton orthographe, laisser le mam au vestiaire.

Ours, je suis désormais un ours. Plus d’intrus dans ma tanière ! Pas touche à mon miel !

- Je vais faire les courses, as-tu préparé ta liste ? 

- Non, ma chérie, j’ai tous les ingrédients qu’il me faut.

Regard interrogateur contre regard blasé.

- Tu fumes à nouveau ? Et ta barbe ?

- Je ne fume pas, je mégote, c’est tout un art et quoi ma barbe, elle ne te plaît pas ma barbe ?

- Euh…

- Bradt Pitt, tu ne connais pas ?

Là, je l’ai mouchée. Son Bradt si beau avec sa barbe de trois jours elle m’en a assez rabattu les oreilles.

Elle dresse la table et moi, je m’enferme à la cuisine. On va voir ce qu’on va voir.

Fondue au fromage mixé avec brocoli et pommes Granny accumulées au fil des invitations. Bien caoutchouteux le fromage, une vraie merveille colorée en diable par ces trente degrés à l’ombre. Plus écolo, tu meurs !

Pas sûr qu’ils reviennent de sitôt dîner à la maison les "amis" !

---------------------------------

Pour Mil et une - août 2017 - clic

Voir les commentaires

Publié le 23 Juillet 2017

Je me rappelle fort bien comment j’ai cessé de peindre, ce fut de façon toute naturelle, sans effort, sans regret. Pour moi, l’ouvrage était terminé voilà tout. Et l’ouvrage, le bel ouvrage ça me connaît, jamais je n’ai rechigné à la tâche, jamais je n’ai bâclé le travail ou supporté la moindre imperfection. Je me rappelle fort bien ! C’était un jeudi de septembre, le 24 pour être précis et aux infos on venait d’annoncer le vol d’un tableau de Magritte. L’Olympia ! La représentation d’une jeune femme blonde aussi jolie et naturelle qu’Hélène, ma compagne depuis dix ans. clic

 

Ah ! Hélène ! Le bon goût fait femme ! Perfectionniste elle aussi et tellement classe. C’est grâce à elle que d’une vieille ferme abandonnée a jailli une maison si bien agencée qu’elle a fait l’objet d’un reportage dans l'émission "Bicoques Magazine" La gloire pour Hélène ! La fierté pour moi.

Pourtant, dans une séquence, notre chambre à coucher paraissait un peu terne et Hélène a suggéré d’en revoir l’agencement de fond en comble. Elle a pris des mesures, fait des plans et, passionnée, a couru de gauche à droite, passant d’un magasin de meubles à une boutique de décoration.

 

Quand tout fut choisi jusqu’aux moindres détails, je me mis à l’oeuvre. Vider et déménager les meubles, dépendre les tentures, protéger, décaper, reboucher, poncer, étendre une couche primaire, tout s’enchaînait avec bonheur et le soir, la chambre d’amis était pour nous un nid douillet, une douce escale amoureuse.

Pour les murs, Hélène avait opté pour un ton de bordeaux profond et chaud. Après en avoir peint deux couches, le résultat était très harmonieux mais ma Belle, soucieuse, le front plissé, se questionnait "du parme ne donnerait-il pas plus de vie, de gaieté ?" Un petit essai de cette nuance a conclu dans ce sens et, le rouleau à la main, j’ai à nouveau transformé le décor. Je me rappelle fort bien, ce ne fut pas facile d’obtenir ce parme tendre et lumineux sans que transparaisse la moindre trace de bordeaux. Trois week-ends se sont enchaînés et ce jeudi 24, premier jour de R.T.T. de l’année, j’ai enfin pu nettoyer le rouleau et les pinceaux.

 

Je me rappelle fort bien de cet instant, c’est l’instant aussi où Hélène est sortie de la salle de bain, nue, désirable comme une déesse et sa voix, je m’en souviens fort bien, trop bien. Si douce quand elle a dit "tu sais, au fond, je préférais le bordeaux"

 

Alors, Monsieur le Juge, ce fut de façon naturelle, sans effort, sans regret que j’ai serré son joli cou pour qu’enfin elle se taise.

 

Depuis, je n’aime plus Magritte.

-----------------

Pour Mil et une - 23/07/2017 -  clic

Voir les commentaires

Publié le 30 Juin 2017

 

Aujourd’hui elle s’est levée tôt. Dès sept heures, la cuisine était en effervescence et dans l’extracteur de jus la vapeur d'eau bouillante faisait gonfler et éclater les groseilles rouges. La météo annonçait la pluie tant attendue par la nature aux alentours mais cependant aucune goutte d’eau ne se manifestait. Bien au contraire, la chaleur lourde se mêlait à celle de la cuisson et, pour ressentir un léger courant d’air, elle a ouvert la porte-fenêtre donnant sur la terrasse.

De la table extérieure où il trône, Nain de Jardin lui a fait un clin d’œil "Bon courage"

Stériliser les pots, mesurer le jus de la première fournée, relaver le matériel, mettre en route une deuxième cuisson puis faire cuire le liquide vermeil avec du sucre gélifiant…

Et touille, et touille et tralala !

------------------------

- Dix-huit pots de gelée ! Qu’en dis-tu Nain de Jardin ?

- Ah ! tu te souviens de moi ! Tu fais enfin une pause.

- Allons, ne fais pas ton coquet ! Viens que je te prenne en photo avec le fruit de mon labeur.

- Je ne t’ai pas entendue chanter en travaillant…

- Hé non, j’étais plongée dans mes pensées.

- Mais dis-moi, tu annonces dix-huit pots et je n’en compte que dix-sept. Aurais-tu succombé à la gourmandise ?

- Toi par contre, je t’ai entendu rire et fredonner.

- Ne détourne pas la conversation, il n’y a que dix-sept pots de gelée…

- Et gnnn, et gnnn ! Reste zen, Nain de Jardin, tu le chantais si bien tout à l’heure. Zen, soyons zen ! Toute la chanson de Zazie y est passée. clic

- C’était pour t’envoyer du sang-froid dans les veines.

- Du sang-froid ? Pour moi ?

- Tu me traites de coquet mais toi, tu es d’une mauvaise foi incroyable.

- Moi ?

- Oui, toi qui jurais si fort il y a moins d’un quart d’heure.

- Pfff ! Ne connais-tu pas ma maladresse légendaire liée aux gelées et autres confitures ? clic

- Je suis nouveau ici, moi, tu l’oublies.

- Dix-sept, dix-huit, peu importe je n’ai pas fait de casse c’est déjà cela.

Mais dis-moi, les nains de jardins n’ont-ils pas pour mission de donner un coup de main ?

- Au secours ! Remets-moi au plus vite à ma place de prédilection.

- Pff ! Tous pareils quand apparaissent raclette et serpillière…

Zut, que c’est collant cette gelée de groseille éparpillée partout ! Et dire que pour une fois, j’avais mis mes lunettes…

Dix-huit pots, point à la ligne ! Et tant pis si un est déjà vide.

 

-----------------------------------------

Voir les commentaires

Publié le 29 Juin 2017

- Dis-moi, Papa, pourquoi il y a un écriteau interdisant de nager ? Il n’y a pas d’eau ici !

- Jadis, mon fils, vivait ici le chef de ce pays. C’était un géant au caractère acariâtre nommé Renard-Roux. Certains disent qu’il souffrait de déshydratation chronique… Il criait sans cesse "J’ai soif ! Apportez-moi une bassine d’eau"

- Une bassine, c’est grand ?

-Très grand, mon fils mais le Géant Renard-Roux la vidait en une gorgée et réclamait la suivante.

- Et alors ?

- Alors, il but toute l’eau d’un lac, puis d’un deuxième.

- Et alors ?

- Les serviteurs étaient épuisés par les exigences de ce chef. L’un d’entre eux, plus futé que les autres, créa de vastes rigoles et détourna l’eau d’une source  jaillissant au cœur de la montagne, tout là-bas dans nos contrées du nord.

- C’est quoi une rigole ?

- C’est un chemin légèrement pentu réservé à l’eau. Ainsi, au lieu de gonfler nos fleuves de sa puissance l’eau s’écoula paisiblement vers cette plaine où vivait le géant Renard-Roux.

- Oui, mais pourquoi ce panneau, Papa ?

- J’y viens mon fils ! Le géant dont la soif était désormais plus facilement et rapidement étanchée réclama un bassin puis plusieurs bassins pour prendre ses ablutions. Une fois de plus tout fut dans la démesure. Il fallut de plus en plus d’eau et toutes nos sources furent détournées au profit du géant. Nos rivières s’asséchèrent, nos fleuves ne rejoignirent plus la mer, tout devint aride.

- Et alors ?

- Alors, tandis que le géant Renard-Roux se prélassait avec sa cour, son peuple se révolta. Lui aussi voulait baigner dans ce qu’il pensait être le bonheur. Les gens prirent d’assaut les jardins et les bassins à l’eau limpide.

De rage, le géant fit dresser de hauts murs tout autour de sa propriété et apposer de grands panneaux comme celui-ci.

- Mais alors où a disparu l’eau ?

- La majorité du peuple, dégoûtée par la tournure des événements et l’égoïsme de son chef partit vivre dans nos contrées du nord et se ligua pour permettre aux sources de reprendre leur cours naturel. Notre région redevint verte et les fruits et légumes à nouveau réapparurent au marché.

- Et le géant ?

- Privé de cette grande quantité d’eau qu’il nous volait il dépérit, seul, de rage et de sécheresse. La sécheresse du cœur !

- Et ?

- Et voilà pourquoi, mon fils, je t’ai mené vers ce pays du géant Renard-Roux, pour que tu n’oublies jamais que sur cette terre rien ne nous appartient et que tout est à partager.

- Mmm, ce voyage me plaît beaucoup… merci Papa !

-------------------------

Pour mil et une en  juin 2017 - clic

Voir les commentaires

Publié le 22 Juin 2017

Il a les notes, le rythme.

Elle possède les mots, la voix.

Se sont rencontrés un soir de juin

et depuis, ne se sont plus quittés.

 

°°°

 

Il souffle dans sa trompette, se dodeline,

ses joues se gonflent d’air, ses doigts s’agitent,

Elle inspire concentrée,

 expire en jouant de ses cordes vocales.

 

°°°

 

Les spectateurs les écoutent subjugués,

intrigués aussi.

Lui, géant à la peau d’ébène.

Elle, silhouette menue au teint de porcelaine.

 

°°°

 

Il en a connu et aimé des perles d’or,

des Vénus callipyges.

Pour d’autres son cœur a battu la chamade,

son corps de femme a résonné.

 

°°°

 

Ils se sont reconnus un soir de juin,

un soir comme celui-ci.

La musique les chavire, les unit.

toujours ils sont fidèles à son rendez-vous.

 

°°°

 

Il a les notes, le rythme.

Elle possède les mots, la voix.

A l’unisson, sous un chapiteau, au fond d’une cour,

dans un bar, au bord d’un fleuve, les entendez-vous vibrer ?

 

°°°°°°

Pour Mil et une juin - clic

Image Steve McCurry - clic et clic

 

Voir les commentaires

Publié le 11 Juin 2017

Aujourd'hui matin, Grand Sachem et Sioux pédalent courageusement à travers monts et vallées.

Elle, elle se rend au jardin, l'appareil photo à la main.

Déjà, elle se sent fébrile...

 

C'est que même réglé sur la fonction automatique, ce petit engin l'angoisse un brin.

- Allons, lui souffle Nain de Jardin, regarde-moi, ma zénitude te fera du bien !

 

Nain de Jardin, c'est son nouveau compagnon. Il a pris ses aises sur la petite table de terrasse peu avant Pâques et depuis semble content de son sort.

 

Comme en réponse elle le saisit dans le viseur tandis que lui rigole de plus belle !

- Tu vois, ce n'est pas si difficile !

 

Et un clic par ici, et un clic par là...

Les primevères et les iris d'eau offrent leurs dernières couleurs ; le saule pleureur malmené par les gelées tardives tente lentement de se remplumer... 

Au bord de la petite mare des cierges jaunes se dressent fièrement. Ici, une lavande, là quelques géraniums et deux jeunes clématites qui, adossées au mur, ont remplacé le vieux rosier.

Toute la végétation a souffert de la sécheresse puis du vent fou et de quelques trombes d'eau ou de grêle. Lentement, elle se remet des épreuves subies.

 

Au potager, les courgettes stagnent, n'osant pas encore prendre leur bel essor tandis qu'au pied de la haie de mignonnes fraises sauvages sont fidèles au rendez-vous printanier.

Le lierre au vert tendre leur fait un écrin tout en douceur. Le houx de son côté prépare ses décorations hivernales.

 

Elle observe le ciel bleu parsemé de nuages blancs puis pénètre dans le grand parterre, véritable sous-bois, refuge d'une faune et d'une flore particulières. Un passage est bien marqué au bas de la clôture. Porte ouverte au lièvre et au renard qui souvent visitent les lieux ?

 

Mais voilà que, déjà, deux casques rouges pendent au fil à linge.

Les sportifs ont le ventre creux !

Un dernier clin d'oeil s'échange avec Nain de Jardin...

 

A la soupe la troupe ! 

Et tant pis si les photos ne sont pas très nettes...

Voir les commentaires

Publié le 5 Juin 2017

- Et pourquoi pas un karaoké ?

- Ouais, chouette idée !

 

Tous les potes se sont retrouvés le 25 à 21 heures chez Billie, rue d’Harscotte. Quand Léa est arrivée à son tour, les yeux bandés et guidée par Julie, tout ce petit monde a entonné "Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, Léa, joyeux anniversaire !"

Léa, ravie, a découvert le lieu dédié à la musique, au chant, à la convivialité.

 

Marine a scandé : Giova, une chanson ! Giova, une chanson ! Suivie aussitôt par les copains soulagés de n’être pas le premier cobaye à se présenter micro à la main sur la petite estrade.

Giovanni, très sérieux, a feuilleté le catalogue de karaoké et toujours aussi sérieux a entonné une chanson italienne à vous arracher les larmes des yeux. Applaudissements !

 

Marie encouragée par ce premier succès s’est risquée à une parodie-medley des succès de Chantal Goya. L’assemblée a embrayé au premier couplet et s’est retrouvée instantanément sur les bancs de l’école maternelle. Heureuse régression sans aucun complexe. Mission réussie.

 

Comédies musicales, hits oubliés, numéro un mondial, chansons cultes ou à la guimauve se sont succédés avec plus ou moins de bonheur entre papotages et tournées servies par Billie.

 

Léa ! Léa !

La reine de la fête a chuchoté un nom, un titre. Tous se sont tus, surpris par la voix puissante et juste de leur amie. En face d’eux, Adèle et son Someone Like You prenait possession de l’espace.

Léa, paupières closes, était toute à la musique.

 

Dès la dernière note, les bis ont retenti scandés par un tintamarre de chaussures cognant le plancher. Léa, un peu étonnée de son succès ne s’est pas fait prier et a repris la chanson.

 

Mais pourquoi avait-elle aperçu une lueur navrée dans le regard de son amie Julie, son éternelle complice et pourquoi certains affichaient-ils un sourire ironique ?

 

--------

 

Les réponses à ses questions ont surgi, inattendues, le lendemain de la fête.

Sur les réseaux sociaux circulait une vidéo intitulée "Comment saccager son idole en 4’44'' chrono" se moquant du déplorable accent anglais de Léa.

Qui l’avait postée ?

Léa, blessée, pensa à Brice son ancien amoureux évincé et rancunier…

 

---------

 

Malaise, regards fuyants, fausse compassion, rires s’éteignant dès qu’elle apparaissait... Léa fit rapidement le tour de ses vrais amis et toujours elle put compter sur leur soutien.

 

---------

 

Un an an s'est écoulé depuis cette soirée d’anniversaire. Léa resplendissante se saisit du micro et dans une interprétation parfaite donne une nouvelle vie à la chanson d’Adèle.

Piquée au vif dans son amour propre la jeune femme a suivi avec succès une formation accélérée en anglais et dans la foulée a décroché grâce à elle son premier boulot.

 

Quelques fois, les moqueries font des merveilles…

 

-------------------------------

 

Pour Mil et une en mai 2014 - clic - - source image - clic

Voir les commentaires

Publié le 20 Mai 2017

Le paquet cadeau posé sur son paillasson était si petit qu’elle avait failli marcher dessus en sortant de l’appartement. Un reflet de la lampe éclairant le hall avait heureusement fait briller la ficelle et le nœud argentés ce qui avait attiré son attention.

Tout en fourrant le paquet dans sa poche elle se posait des questions. Un cadeau ? Pour elle ? De qui ? Pourquoi ? En entrant dans l’ascenseur elle résista à l’envie d’abandonner cet intrus sur le palier. A hauteur du sixième, elle commença à déchirer le papier cadeau, au quatrième elle tenait au creux de sa main un étrange cube noir qui, à croire les indications inscrites sur ses faces, répondait au nom de Grafanette et allait lui changer la vie.

Changer sa vie, la vie de Mathilde Ducré ? Vie banale de retraitée divorcée, vie toujours chiche à son égard, vie bof ! bof ! comme elle le pensait souvent en la comparant à celles étalant leurs fastes dans les médias.

Juste avant d’arriver au rez-de-chaussée, Mathilde, curieuse, avait appuyé sur le petit bouton situé au centre de la face supérieure du cube. L’ascenseur s’était arrêté portes ouvertes et la retraitée n’avait constaté aucun changement dans sa vie. Pourtant quand en cette veille de Noël elle fit l’effort de saluer son voisin, celui-ci, fada de décibels et de musique électro l’empêchant régulièrement de fermer l’œil, sembla l’ignorer.

De même le pékinois toujours énervé de Madame Blanchard, celui dont pas un jour ne se passait sans qu’il ne renifle et ne bave sur ses chaussures, passa indifférent à sa présence en tirant au bout de sa laisse sa maîtresse tout aussi indifférente.

Pour le fada, le toutou et sa mémère et pour tout un chacun dans la ville Mathilde était devenue transparente !  Prise au jeu de la Grafanette, elle en profita tout son soûl. Coquine, elle tira la langue au buraliste toujours aussi aimable qu’une porte de prison ; au bar Du Relais, elle embrassa à pleine bouche le bel Armand qui jamais n’avait daigné jeté un regard sur elle. Le bel Armand se frotta les lèvres d’un air ahuri tandis que sa femme le houspillait d’un «Arrête de rêvasser, Armand, les anges ne feront pas le travail ! Sers un ballon de rouge à Monsieur»

Mathilde visita avec délectation une expo dont le prix d’entrée était bien au-dessus de ses faibles moyens, elle « emprunta » ici un millefeuille, là un flacon de parfum ou un livre. Au hasard des rues, elle croisa son ex-mari et lui fit un savant croche-pied. Elle s’attarda à observer le SAMU venu le secourir et entendit « c’est probablement une fracture, Monsieur »

En fin de journée, la ville se fit plus calme et Mathilde Ducré rentra chez elle, les bras chargés mais la conscience trouble.

Alors seulement lui revint en tête le mystère de ce cadeau. D’où provenait-il ? D’autres personnes pouvaient-elles bénéficier des pouvoirs d’une Grafanette ? Pourquoi et qui lui en avait offert une ? De plus en plus mal à l’aise elle avait à nouveau appuyé sur le bouton de la Grafanette afin de revenir au plus vite dans la vraie vie, loin des utopies.

Un détail la taraudait : suis-je seule dans mon appartement ?

Et de tout le réveillon elle questionna d’une voix chevrotante : Y a quelqu’un ?

-------------------

Pour Mil et une en janvier 2017 - clic

Voir les commentaires

Publié le 10 Mai 2017

Mil et une nous proposait cette superbe peinture d'Emile Claus que j'ai eu le bonheur d'admirer au musée de La Boverie à Liège. Voici ce qu'elle m'a inspiré...

---------------------

Lisa s’assied sur le banc à l’ombre du buisson. Quelques lignes de tricot et imperceptiblement elle s’éloigne du quotidien. Pourtant, le roucoulement répétitif d’une tourterelle la déconcentre finalement des mailles à compter et du motif à répéter. Le bourdonnement des insectes, chœur joyeux de l’été, semble l’inviter à sa suite. Pieds nus, Lisa se rend à la limite de la pelouse, là où une petite clôture sépare l’herbe du potager.

Avec une pointe d’émotion inattendue, elle observe Emile, son vieux compagnon de route, sarcler à reculons les carrés de légumes. Ses gestes semblent précis et le va et vient de l’outil élimine les mauvaises herbes sans pitié.

Epinard, céleri, petits pois, haricots, courges de toutes sortes, poireaux, carottes…

Quelle opulence ! Jamais nous n’arriverons à consommer tout cela !

Lisa hausse les épaules. Peu importe, les voisins, les amis, profiteront eux aussi de légumes tout frais et cultivés sans produits chimiques. Emile se sent si bien les sabots aux pieds dans la terre brune et c’est le plus important.

- Emile, je rentre préparer le dîner. Peux-tu récolter deux bonnes poignées de haricots et me les apporter ?

Emile sursaute, relève la tête, l’agite de haut en bas.

- Oui, oui ! fait-il en direction de Lisa.

Lisa soupire, ne peut réprimer une grimace, moue entre le sourire et les pleurs puis elle s’empresse de ramasser son tricot, d’enfiler ses mules et de rentrer.

Le chat miaule, se frotte à ses jambes attiré par l’odeur de la viande qui mijote dans la cocotte.

- Ecoute, voilà ton maître. L’entends-tu, il enlève ses sabots ?

Le chat, indifférent au jardinier, sort au soleil, l’heure de son repas n’a pas encore sonné.

Dans l’ombre de la cuisine Lisa observe à nouveau Emile, ce géant musclé, planté hagard sur le seuil, un pot de fleurs sur le bras. Pas de haricots en vue… évidemment… il a oublié… une fois de plus…

- Rentre, Emile, le repas est prêt ! Oh, merci pour ta gentille attention. Ces fleurs sont d’un rouge si vivant. Je pose le pot sur le guéridon, regarde comme c’est joli.

Sur la table, un plat fumant de haricots parfumés d’ail est prêt à être dégusté.

Ce matin, à l’heure de la rosée, alors qu’Emile dormait encore, Lisa les a récoltés au potager faisant fi du claustra invisible qui la sépare désormais de lui.

-----------------------------

Voir les commentaires

Publié le 2 Mai 2017

Le temps inexorablement s’écoule

Il n’a nul besoin de remontoir

Passants éphémères nous le traversons

Et pour un moment, un moment seulement

Il nous gratifie d’une parcelle d’éternité

 

La modiste s’empresse, il y va de son renom

Ajuster une plume, piquer une ganse de velours

Donner un volume gracieux à un bibi est son quotidien

Qu’importe la nuit passée à s'activer sous une lueur parcimonieuse

Madame, sa cliente, ne peut souffrir le moindre retard

 

Vite, vite ! Elle relève sa robe pour se faufiler entre les calèches

Ne pas glisser sur le sol gras, éviter le crottin

Qu’un balayeur des rues inlassablement recueille

Remarque-t-elle le regard égrillard d’un dandy

Émoustillé par la blancheur de son jupon de dentelle ?

 

Le temps inexorablement s’écoule

Les équipages ont laissé place aux automobiles

Et les feux tricolores régissent les passages cloutés

Mais toujours les gens se hâtent vers quelque but

Demain, déjà, est à leur porte

 

°°°°°°°°°°°°°°

Pour Mil et une en mai 2015 - clic  --  Peinture Jean Béraud - Montage photo Halley Docherty - clic

Superbe vidéo d'Emma, elle me bouleverse à chaque fois

 

Voir les commentaires

Publié le 26 Avril 2017

Aujourd’hui, et une fois de plus, la musique est son échappatoire…

La voix de Corneille l’emmène sur des chemins de vie et de réflexion. Celle de Christophe Maé prend la suite… Oui, le temps est un carrousel, une génération suit l’autre et l’enfance est un moment si précieux lové bien au chaud au fond de son cœur. 

Elle devient rythme, varie les thèmes, les ambiances. Temps anciens ou actuels, les chansons sont ses fidèles repères. Certaines ont mal vieilli, s’écaillent, d’autres la font vibrer et s’émouvoir encore et encore... Cabrel qu’elle avait eu le bonheur de découvrir à ses tout débuts, Vianney aujourd’hui, SouchonJulien Clerc ou Pascal Obispo et la poétesse Marceline Desbordes Valmore, Ferrat chantant Aragon, Voulzy, Delta, Goldmann, Sardou, Calogero, Pagny… et tant d’autres voix graves comme l'était celle de son père.

Aujourd’hui en se levant, elle se sentait semblable à un vieux seau rouillé abandonné au fond d’une cour. La musique, comme un bain de velours, l’a doucement régénérée.

Chut !!! Ecoutons la chanter !

--------------------

Pour Mil et une - avril 2017 - clic

Voir les commentaires

Publié le 19 Avril 2017

https://img.over-blog-kiwi.com/0/55/59/00/20170418/ob_d5dce6_sujet-s-16-2017.jpg

Lapin blanc, tout en remuant le bout de son museau : Je suis prêt ! Ah que feriez-vous sans moi, la vedette du spectacle ?

Haut-de-forme, ironique puis dégoûté : La vedette ! Mais pour qui te prends-tu pauvre minable ! Moi, si distingué, si racé, si soyeux, me voilà terni par tes longs poils. Beurk !

Lapin blanc, sûr de lui : Mes longs poils sont aussi veloutés que l’est ton tissu. Ne suis-je pas le doudou préféré des enfants, n’ai-je pas emmené Alice au pays des merveilles ?

Haut-de-forme, dubitatif : Il faut croire que les humains sont perpétuellement enrhumés ?

Lapin blanc, interloqué : ???

Haut-de-forme, irrité : Et puis cesse de me regarder en fronçant le nez ! Ne sens-tu pas comme tu empestes, tes crottes si minables dégagent une odeur épouvantable et me donnent la nausée. Grrmbelebele

Lapin blanc, définitif : Cesse de parler entre tes dents, mes grandes oreilles captent tout. Tu t'estimes supérieur parce que tu trônes en hauteur mais tu n’es rien de plus qu’un accessoire.

Haut-de-forme, outré : Un accessoire ! Ce qu’il faut entendre ! Où te cacherais-tu, d’où surgirais-tu si je n’étais le roi des chapeaux ?

Bâton magique, cinglant : Fi ! Vous deux ! Vous êtes pénibles et si naïfs.

Haut-de-forme et Lapin blanc, en chœur : Naïfs, nous ? Mais pour qui te prends-tu pour oser nous insulter de la sorte, vieux morceau de bois tordu ?

Bâton magique, imbu : Je connais ma valeur et mes immenses pouvoirs. Sans moi vous ne seriez rien. Rien ! La seule star, ici, c’est moi !

Lapin blanc, au tic plus marqué que jamais : Alors tu es persuadé que ton léger "toc-toc" a le don de me faire apparaître ? Le naïf, c’est toi.

Haut-de-forme, infatué : Bien entendu ! S’il apparaît c’est uniquement parce que je daigne le libérer de mon double-fond.

Lapin blanc, bégayant de rage : Pas… pas…p du t.. tout !

Bâton magique, dédaigneux : Pauvres cloches je ne me ternis plus à vous causer ! D’ailleurs voici le magicien, vivement que le spectacle commence et que je me gave d’applaudissements.

----

Fin du numéro

Le magicien, coquin et fine mouche : Merci, Mesdames et Messieurs, merci cher public ! Je vous invite à présent à voter à main levée afin de déterminer qui de Lapin blanc, de Haut-de-forme ou de Bâton magique remporte vos suffrages. Qui des trois est la véritable vedette du jour, qui des trois vous apportent le plus de bonheur ?

----

Le magicien, un brin surpris : Le vainqueur est…

----

A votre avis ?

-------------------------------

Pour Mil et une  en avril 2017

 Peinture de Will Bullas - clic et clic

Voir les commentaires