Publié le 28 Décembre 2014
Ligne 48, c’est celle qu’elle emprunte tous les mercredis. Départ chaque heure quinze de la Place d’Armes.
En faisant un signe de tête au chauffeur, qui en retour la salue ou l’ignore, elle introduit le billet dans le composteur puis tente de se faufiler vers une place libre. Parfois, elle patiente debout en tanguant d’une jambe sur l’autre pour garder l’équilibre mais aussitôt qu’elle le peut, elle s’assied, soulagée. Autour d’elle, les gens ont encore du sommeil plein le regard.
Celui-ci, assis à ses côtés, sa tablette sur les genoux, lit ses messages et y répond avec une dextérité qu’elle admire. Ces mots qui surgissent comme par magie du bout de doigts la laissent songeuse… doux, secs, brefs, amour ou désamour ?
Un pleur d’enfant lui fait tourner la tête vers une jeune femme penchée sur une poussette. Une berceuse discrète tente en vain de calmer le petit. Certains soupirent, dérangés dans leurs derniers moments de pseudo repos de la matinée. Elle, elle sourit à la mère et agite les mains pour attirer l’attention du bébé…ainsi font, font, font les petites marionnettes…
Le véhicule stoppe brusquement et elle est projetée en avant. Finies les marionnettes, l’enfant et sa mère descendent du bus, aidés par un ado mâchant un chewing-gum d’une bouche goulue et indiscrète.
Arrêt après arrêt, l’environnement se modifie, la ville fait peu à peu place à la banlieue puis à une zone d’activité industrielle. Un coup de frein, une accélération, virages à gauche, virages à droite, ronds-points se succèdent. Les passagers se diversifient puis doucement à l’approche de la campagne se raréfient pour réapparaitre aux abords d’une petite ville.
Le trajet s’achève au bout d’une heure vingt et quand le bus s’arrête pour une pause de dix minutes avant de se remettre en route dans le sens inverse, elle est quasi la seule à en descendre.
D’un pas assuré, elle se dirige vers l’unique café-restaurant du bourg où elle commande un café et un croissant chaud. Si un quotidien traîne sur une table ou que le patron est en verve, elle reste là à lire ou discuter mais immuablement à onze heures elle se rend au cimetière.
Quiconque l’aperçoit immobile face à une tombe déjà ancienne ne peut deviner le monologue dont elle abreuve son cher compagnon trop tôt parti en la laissant désemparée.
Suivant la météo, elle dîne ensuite dans le parc d’un pique-nique emporté avec elle ou s’offre une omelette baveuse de retour au café-restaurant. Parfois, elle se promène jusqu’à son ancienne maison où elle vécut heureuse. En passant, elle ne peut s’empêcher de remarquer des petits détails qui la troublent : de nouveaux stores, un jouet oublié sur la terrasse, la pelouse qui mériterait une bonne coupe, un chat roux qui ne répond pas à son appel… D’autre fois, elle rend visite à une connaissance ou à une lointaine cousine et s’attarde jusqu’en fin d’après-midi.
Au fil des saisons, elle retrouve la grande ville encore bourdonnante sous le soleil baignant les terrasses ou animée par les phares des véhicules circulant dans la nuit et par les mille feux des fenêtres d’immeuble éclairées.
--------------------
Ligne 48, un mercredi matin.
La dame ne patiente pas à l’arrêt de bus Place d’Armes.
Que s’est-il produit dans le quotidien de cette personne à la silhouette menue et cependant distinguée ?
Pourquoi n’est-elle pas fidèle à son rendez-vous hebdomadaire ?
Pourquoi s'est-elle éclipsée ?
Qui s’en souciera ?
---------------------------------------------
Pour Mil et une - clic - photo Wikipédia