Publié le 26 Janvier 2018

Et cela continue, encore et encore... (clic et clic)

L'actualité repasse les plats rances. Le chaud et l'effroi sont au menu une fois de plus.

Et moi ?

Moi, j'ai le blues et je réédite un texte écrit en 2010 et publié ici en 2012.

2010 :1672 emplois perdus chez Carrefour Belgique

début 2018 :1233 emplois à supprimer chez Carrefour Belgique                            

Même combat !

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Jean-Luc, Martine, Dany, Chantal, Jean-Yves, Guido, Colette, Françoise ...

Tout le monde il est beau ! Tout le monde il est beau ! Marc, Marie-Christine, Sabine, Ulla…tout le monde il est beau….

Joëlle, Jonathan, Myriam, Béatrice… et puis, Elle, la mille six cent septante deuxième… Elle qui chantonne comme Zazie.

 

Ploc ! fait une goutte d’eau dans l’évier.

Marie, Jean, Nicole, Brigitte, Christian, chante-Elle

Ploc ! fait la goutte suivante.

Elle se fiche de ce bruit monotone comme elle se fiche de la table encombrée des reliefs du petit-déjeuner et du café qui vieillit dans le percolateur.

Faudrait aérer les chambres à coucher, trier le linge sale, l’engouffrer dans le lave-linge, vider le lave-vaisselle, rafraîchir la salle de bains… Faudrait…

 

Mille six cent septante deux !… 1672 ?…

Google lui répond :

Louis XIV - Guillaume III d’Orange - Batailles - Traité de Nimègue

Rien de neuf sous le soleil.

« Tout le monde il est beau »

 

Ploc ! fait l’eau têtue.

Miaou ! fait le chat.

Pour son vieux compagnon elle daigne se lever de sa chaise, entrouvre la porte donnant sur la terrasse et le laisse sortir. Il pleut.

Elle allume la télé, coupe le son, regarde les images sans les voir vraiment puis elle saisit un livre, le redépose… faudrait aller à la bibliothèque, à la boulangerie… faudrait… mais elle paresse.

 

« La jeune fille rebelle » Ce titre l’attire à nouveau. Elle reprend le livre, le caresse et se souvient de cette après-midi pas si lointaine où elle a savouré sa lecture, la comparant à un caramel tendre qui lentement fond dans la bouche. Il neigeait… les oiseaux envahissaient la mangeoire. C’était il y a un siècle, une éternité. Elle n’était pas encore la mille six cent septante deuxième.

« Tout le monde il est beau »

 

Elle s’allonge dans le divan parmi les coussins moelleux, ne pense à rien, n’imagine rien. Son corps et son cœur sont lourds. Mal… mal dans sa peau… Elle s’attarde, elle musarde, elle flemmarde, elle lézarde et c’est bien ainsi.

Guy, Marguerite, Edgard, Monique, Josiane, Roger… la liste est longue… Elle n’en connaît qu'une centaine parmi les mille six cent septante et un. Comme eux elle est à un Carrefour de sa vie, comme eux, elle fait partie de ces petits travailleurs besogneux sacrifiés sur l’autel de la rentabilité effrénée.

« Tout le monde il est beau »

 

Tout à l’heure, elle ira rejoindre le groupe.

Tout à l’heure, elle fera partie du piquet de grève.

Faut pas prendre les salariés pour des « gogo’s » et s’en débarrasser comme on le fait avec ces jouets "offerts" contre un passage aux caisses de l'hypermarché. Faut pas ! Mais pour l’heure, elle paresse c’est sa seule défense. 

 

 

Ploc ! Ploc ! Goutte après goutte l’eau remplit l’évier.

Miaou ! Le chat se frotte contre la vitre, il veut rentrer.

 

mars 2010 - janvier 2018

 

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Publié le 12 Janvier 2018

Yto Barrada - source image - clic

- Habille-toi chaudement et enfile tes bottes fourrées, j’ai besoin de ton aide, avait dit Papa.

Je n’avais pas répondu mais mon visage à lui seul devait exprimer mon dépit. Pourquoi me désigner moi et pas mon frère aîné, lui qui sautait sur le moindre prétexte pour s’échapper de la maison et fuir ses devoirs de math ou d’anglais ?

Maman, fine mouche, avait glissé dans ma poche sa petite lampe-torche tout en chuchotant : tu verras, tu n’en auras pas besoin.

Pas besoin, pas besoin !  Ecœurée, je ronchonnais entre mes dents. Mes parents ne savaient-ils pas que j’avais horreur de l’obscurité, qu’elle me tétanisait ? Pourquoi cet éboulement de terre bloquant la route avait-il eu lieu dans l’après-midi ? Pourquoi Papy s’obstinait-il à vivre seul dans cet endroit reculé ? Pourquoi était-il cloué dans son fauteuil par une terrible crise de sciatique ?

Alors que nous avions quitté le village et gravissions la colline à travers les pâturages, je m’obstinais dans mon dépit et dans mon refus de donner la main à mon père. Je n’étais plus une môme quand même, j’avais treize ans, il y allait de ma fierté !

Mon père ne disait mot, seul son souffle accentué par le poids du sac à dos me réconfortait quelque  peu. Dans ma poche, ma main enserrait la lampe-torche. Allais-je l’allumer ? Ma fierté, une fois de plus me freinait. Mon frère aurait dit : toi et ton fichu caractère de cochon !

Cochon ? Non, ce n’était pas un cochon qui venait d’émettre ce bruit qui m’avait fait sursauter, les cochons étaient enfermés dans la porcherie de Jacques, à l’autre bout du village…

- C’est une vache qui tousse dans la prairie à côté, bientôt le gel sera là et le père Blanchard rentrera le troupeau à l’étable, avait précisé Papa.

Brrr, un frisson m’a parcouru de la tête au pied et pourtant je n’avais pas froid, bien au contraire la marche activait mon sang, mais cette nuit noire semblait tellement hostile qu’elle m’étreignait dans son étau.

Comment mon père faisait-il pour se diriger si précisément vers les échaliers nous permettant de passer d’une parcelle à l’autre, comment ne butions-nous pas contre les haies d’épines et de sureau ? Avait-il des yeux de chat ?

Flisch, flisch, faisaient nos bottes dans l’herbe humide. Schh, schh, chuchotait le vent à nos oreilles. Hou, hou, ironisait un oiseau de nuit dérangé dans sa chasse par notre passage.

Alors que nous avions entamé la descente de l’autre versant de la colline un avion dans le ciel a semblé nous faire des clins d’œil de ses feux réguliers. Le renard vivant dans le trou Malbrought les observait-il lui aussi ?

Et les lièvres ? Les belettes et les fouines ? Tout ce petit monde de la nuit ?

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Papa est allé nourrir et soigner les lapins installés dans les clapiers abrités dans la grange. Les trois poules perturbées de rejoindre si tard leur abri n’ont pas manqué de faire entendre leur mécontentement. Papy, pour qui j’avais réchauffé le repas préparé par Maman, a ricané lui aussi. Ah ! Les canailles, elles ont eu peur de se faire croquer par maître Goupil !

J’ai risqué une question… Comment Papa, son fils, connaissait-il si bien la colline et dans le noir en plus ?

- Hé, hé, tout cela, c’est grâce à ta mère, il la rejoignait au village quasi tous les soirs et le chemin est plus court à travers tout. Ensuite…, une grimace de douleur a interrompu sa phrase, …ensuite, il a acheté une mobylette… mais tu sais on voit très bien avec ses oreilles et même en couleurs…

Voir avec ses oreilles ? La fièvre devait embrumer le cerveau de Papy !

Pourtant, sur le chemin du retour, alors que mon grand-père était enfin bien installé dans son lit, j'ai pensé que oui, on voyait très bien avec ses oreilles et j’ai pris la main de mon père que j’ai serrée furtivement mais très fort en chuchotant : merci d’avoir pu t’accompagner.

Quand j’ai déposé la lampe-torche sur la table Maman m’a lancé un regard pétillant de malice et mon frère a cru bon d'ironiser : alors, pas trop noire la nuit ?

Je ne lui ai pas tiré la langue ou fait un pied de nez, non, cette obscurité, étrangement, m’avait fait grandir….

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Pour Mil et une - clic

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