Publié le 27 Février 2013
Publié le 24 Février 2013
David Alfredo Siqueiros - Défaillance
Marre d’être si haut perchée. Envie de se déchausser, de sentir le contact du sol sous la plante de ses pieds nus.
Clac, clac, clac ! Ses hauts-talons martèlent énergiquement le couloir. Cadence infernale.
D’un simple geste dégrafer le soutien-gorge qui oppresse ses seins. Les laisser enfin s’épanouir en toute liberté.
Le décolleté attire les regards. Désir ou pointe de jalousie, c’est selon. Bander ses muscles, rentrer le ventre : impératif !
Enfiler à même sa peau nue un robe courte et ample faite de cotonnade légère. Pourquoi pas bleue comme ses yeux ?
Le strict tailleur gris souris l’engonce, l’étouffe. La jupe étroite dicte sa loi, réduit l’amplitude de son pas.
Montre, bracelet, collier, boucles d’oreilles enfermés dans leurs écrins. Enfin allégée !
Déjà 10 heures ! Le bijou cliquette à chaque geste, le pendentif pèse à son cou. Lobes d’oreilles irrités !
Se coucher, s’étendre, s’étirer. Rouler sur elle même, se lover au creux d’un lit moelleux ou flotter au gré de vagues blondes. Perdre la notion du temps.
Nuit passée en partie dans son bureau. Révision des derniers dossiers. Dormi quelques heures. Trop courtes. Déjà, intempestive, la voix du réveil.
Seule ! Elle, et seulement elle, face à la majesté du ciel. Observer les nuages, sentir le vent dans sa chevelure. Se laisser englober par la nature, ne faire qu’une avec elle.
Les murs, gloutons, semblent se resserrer à tout jamais sur son être. Pas la moindre lueur naturelle. Des néons à perdre de vue.
Faiblesse, malaises. Son corps, ce pantin, est en révolte. Effondrement, refus formel. Stop, il n’en peut plus, il ne veut plus. Fuir pour survivre !
D’un geste décidé elle ouvre en grand la porte et pénètre dans la salle de réunion sans un regard pour ses subordonnés. Madame la Présidente, impériale, impartiale, inflexible, inhumaine, va mener le conseil d’administration de sa main de maître.
Maladies sous jacentes ? Divorce, séparation ? Ou remise à zéro et nouveau départ ?
Défaillance non tolérée. Vie gâchée.
Laquelle des deux entités qui sont en elle remportera la mise de ce jeu de dupes ?
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Publié le 21 Février 2013
Zébulon déteste cette montée rapide vers le vingt-huitième étage. Quand la porte de l’ascenseur s’ouvre enfin, la nausée n’est pas loin. Marre de cette journée marathon !
Toilettage tôt le matin chez Féline et Cie : griffes épointées, robe noire lavée, savonnée, rincée, séchée, brossée puis lustrée à la peau de chamois ; oreilles vérifiées, gouttes dans les yeux pour un regard encore plus brillant… ensuite trajet interminable en voiture pour enfin échouer dans une salle surchauffée et bruyante. Marre ! Etre un chat de concours, une star aux nombreuses médailles, Zébulon n’en demandait pas tant. Enfermé dans une cage tout l’après-midi il a dû subir les commentaires de dizaines de visiteurs puis faire face au jury.
- Fais-moi honneur mon Zébulon, avait chuchoté Annabelle.
Annabelle ! Comment lui résister quand leurs yeux bleus se croisent ?
Alors pour elle, il avait redressé son pelage, mis du feu au fond de ses prunelles et, souverain, avait hypnotisé ses examinateurs. Résultat : une médaille de plus à son palmarès !
Enfin libéré Zébulon se précipite vers son panier, tourne deux fois sur lui-même et se pose langoureusement sur le coussin moelleux. Des oiseaux volent là-haut près des nuages et le narguent mais repu il les laisse à leurs jeux et semble somnoler.
Tomcat-marin ainsi était-il désigné dans les registres de la Royal Navy. Combien de rats avait-il débusqués au fond des cales du Tilbury voguant sous pavillon de sa Majesté le Roi ? Et ce prisonnier mis aux fers à qui il apportait parfois ses proies afin qu’il survive… Tommy ? Oui, Tommy arrêté dans les colonies et rapatrié en Angleterre pour y être jugé. Dure la vie de marin. Tomcat en aurait eu des tempêtes ou des batailles à raconter.
Zébulon s’étire, baille… Les toits de Paris et leurs nombreuses chambres de bonnes que parfois il squattait, les moineaux moqueurs qu’il guettait, patient… il avait aimé cette vie de Titi libre comme l’air…
Il a chaud soudain et pourtant frisonne. Dans les flammes du bûcher, lui et Téniem, la sorcière, suffoquent. Et pourtant qu’avaient-ils fait de mal ? Jusqu’au bout Téniem n’eut de cesse de maudire ses tortionnaires et lui, Azoum, de pousser un cri à glacer le sang de tous ces gens venus se repaître du spectacle.
Un regard vers Annabelle le rassure, à présent il est bien Zébulon, chat de concours. Zébulon qui ne connaît plus que la pauvre herbe du parc situé au pied de l’immeuble et dans laquelle il peut parfois gambader quand sa maîtresse donne du mou à la laisse.
Se vautrer dans une immense prairie, boire à même une flaque d’eau après l’averse, laper le lait tout frais tiré du pis d’une vache, mettre bas dans la bonne odeur d’un fenil garni de frais, s’amuser des souris grises… elle était douce sa vie chez la mère Michel… mais quel traître ce père Lustucru !
Zébulon quitte son panier, saute dans le divan et en ronronnant de plaisir vient se blottir tout contre Annabelle qui doucement le caresse.
Que sera-t-il dans une prochaine vie, lui, Zébulon, chat du vingt-huitième ?
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Publié le 17 Février 2013
A… Lilou ; Dan ; Josy ;
Cc..
Cci...
Objet déménagement
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Mes chéris,
d’emblée je vous rassure, je ne vais pas vous encombrer, ni accaparer votre temps.
Depuis le décès de votre père, il y a deux ans déjà, j’avais le projet de changer de cadre de vie et d’aller vivre au bord de la mer. Lors de vos visites, j’ai tenté de vous en parler mais vous sembliez prendre mes désirs pour une vague lubie ou pour un éventuel problème en plus dans vos vies familiales et professionnelles surchargées.
Alors voilà, je me suis prise en mains comme depuis tout petits je vous ai incités à le faire pour avancer en toute autonomie dans la vie. J’ai déniché un appartement à La Panne et trouvé un locataire pour la maison.
Avec l’aide d’Amaury, mon jeune voisin, j’ai vidé la maison et organisé mon déménagement. Tout s’est déroulé parfaitement et depuis hier je suis enfin installée non loin de la plage. Sachez que comme toujours, je vous accueillerai tous avec la plus grande joie.
Donnez-moi de vos nouvelles.
Je vous embrasse tous et vous tiens bien au chaud au fond de mon cœur,
Maman
P.S : nouvelle adresse : Avenue de la Dynastie 3 - 8660 De Panne
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Publié le 14 Février 2013
J’en peux plus ! C’est de sa faute aussi à Bryan, toujours à vouloir innover, à ne pas faire les trucs comme tout le monde. Zuuu-ttte ! Mon talon gauche s’est détaché de ma chaussure. Ah ! J’ai l’air malin, clopin-clopant dans la gadoue, en plus j’y vois rien de rien dans ce bled perdu. Et ce vent froid de février qui s’immisce partout, sous ma jupe, dans mon cou, dans mon dos. Faut dire que pour l’occasion j’ai fait léger question vestimentaire. Vivement un bon bain chaud !
Parole, il ne m’y reprendra plus de sitôt le Bryan.
Pause ! Je vais réessayer le portable. Pas encore de réseau ! Mais dans quel trou reculé il m’a emmenée, Bryan ? Allez, avance ma fille tu n’as pas le choix ! Le choix, tiens, tu l’avais tout à l’heure et tu as suivi cet illuminé. Bravo, vraiment bravo ! Voilà, j’éternue, le rhume n’est pas loin. Tu parles d’un septième ciel !
Et comment je vais expliquer cela aux secouristes, moi ! Saint Valentin, balade en amoureux… Pour sûr, ils vont bien rigoler à nous imaginer dans le feu de l’action, seuls dans cette voiture pourrie. En voilà encore une lubie à Bryan cette collection de vieilles américaines pour épater la galerie. Il se prend pour James Dean, tu parles d’un trip à l’ancienne ! Années cinquante qu'il m'a dit !
Hi ! Hi ! James Dean ! Je ne devrais pas rigoler vu les circonstances. Hi ! Hi ! C’est plus fort que moi. Bryan-James faut dire qu’il n’est pas désagréable et qu’il sait y faire quand il veut. Mais là, nous étions un peu à l’étroit dans le grand bac. Même pas de sièges-couchettes, tu parles d’une voiture de luxe ! Il s’est tellement contorsionné le Bryan que j’ai entendu un petit "crac" et il s’est figé le souffle coupé. "Mon dos, mon dos ! Je me suis coincé une vertèbre, j’sais plus bouger !"
Me rhabiller en vitesse, faire le tour de la voiture, recouvrir Bryan quasi nu comme un ver de sa veste et m'installer au volant. Bingo ! Evidemment, la batterie était morte. Les phares et le plafonnier allumés, brillante idée de mon amoureux.
Ah ! J’aperçois une maison éclairée. Il était temps, je suis épuisée et toujours pas de réseau. De quoi j’ai l’air ? Pour qui ils vont me prendre ? Vivement mon lit !
Gloups ! Il faut sonner.
Ne me parlez plus jamais de la Saint Valentin, foi de Valentine !
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Publié le 9 Février 2013
Doucement une première cloche part en volée, d’autres s’ébranlent elles aussi et leurs battants viennent à leur tour frapper l’airain. Les notes s’élèvent dans le beffroi mais les abat-sons les font joyeusement se rabattre vers la ville.
Au bar « Le Matelot », la voix d’Otis Redding se perd dans le brouhaha tandis que Yannick d’un geste preste emplit deux verres d’une bière mousseuse qu’attend, assoiffé, un couple de touristes attablés en terrasse.
Un souffle de brise fraîche parcourt la ruelle et Juliette, un cabas bien garni dans chaque main, frissonne malgré la vivacité de ses pas et son inquiétude de louper le train de onze heures douze.
« Que tu es frileuse ! »
La voix sarcastique de son ex-mari résonne à nouveau dans sa mémoire.
« Basta ! »
Derrière le comptoir de « L’Inca » Irène se morfond. Elles sont belles pourtant ses tomates et juteuses ses nectarines mais comment faire concurrence au marché hebdomadaire de la Grand-Place ?
Au 56, dans un des minuscules kots du troisième étage, Nicolas, étendu sur son lit, révise son cours d’anatomie en fantasmant sur la peau dorée de la jolie Gaëlle, si distante, si lointaine. Sent-elle l’abricot ?
Une autre Gaëlle, mignonne elle aussi, slalome tant bien que mal avec sa chaise roulante entre les piétons et les divers obstacles parsemant les pavés ronds.
Quand la ville sera-t-elle plus accessible à tous ?
Ses pensées rejoignent celles d’une mamie se débattant avec les roues d’une poussette dans laquelle gigote son petit-fils.
Derrière une fenêtre entrouverte laissant pénétrer dans l’appartement une odeur tenace de cuisson de gaufre, une tricoteuse vigilante compte et recompte ses mailles ; bientôt elle entamera les diminutions. A ses pieds, Mousty, son vieux chat tigré baille en s’étirant d’aise.
Un homme pressé bouscule abruptement Jacky qui, le nez le nez en l’air, admire la façade du musée des masques. Pas un mot d’excuse. Jacky secoue la tête et ses cheveux bouclés tressautent d’indignation.
Une jeune maman portant son bébé en écharpe contre sa poitrine le soutient et le protège de ses deux mains. A son épaule gauche, son sac entrouvert offert à tous les regards se balance mollement.
La main leste d’un quidam y saisit le portefeuille et l’enfouit sous son pull au moment où l’inspecteur Mambo satisfait de prendre sur le fait le pickpocket qui sévit en ville depuis une semaine arrête d’autorité son geste.
Le carillon termine son refrain ; dans moins d’une heure, il marquera à nouveau la fuite inlassable du temps.
Le soul d’Otis Redding reprend possession du bar. Yannick fredonne, les pensées perdues dans ses vieux rêves américains.
Un portable sonne, un enfant éclate de rire, des gens s’interpellent.
La ruelle a retrouvé ses bruits familiers.
Publié le 7 Février 2013
A quoi bon retrouver le jour et l’heure ? Tant de temps s’est écoulé depuis.
A quoi vous servirait de connaître mon emploi du temps, savoir si j’ai repassé du linge entassé dans une corbeille, fait le plein de la voiture ou préparé du potage ? A quoi ?
Détailler les quatre heures passées à pointer des plateaux-repas, à servir des bières, des cafés ou des glaces dans le brouhaha du coup de feu serait à mes yeux si dérisoire. Et le livre que j’ai tenté de lire en vain …
Pourquoi vous dire la nuit passée à veiller la petite enfiévrée ou vous dépeindre le petit matin pluvieux ? Pourquoi ?
Pourquoi, pourquoi ? Ces mots martelaient sans cesse mon esprit, prenaient toute la place, m’aveuglaient d’une brume cotonneuse.
Et la rage, comment vous faire mesurer la rage qui couvait en moi comme la lave d’un volcan ? Et la révolte submergeant toute la cruauté de ce monde hyper informé.
Je savais, nous savions tous. Comment échapper au voyeurisme, à la dérision de nos moyens face aux catastrophes naturelles ?
Nausée et honte, voilà le souvenir de ces jours de lente agonie filmée en direct.
Son agonie à elle, Omayra Sanchez, jeune colombienne prisonnière d’un torrent de boue.
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Publié le 3 Février 2013