Publié le 31 Août 2020

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Devant la porte, elle attend en frissonnant.

Sa gorge gratouille. Fichue pollution venue de l’usine d’à côté !

Le travailleur y est confronté tout au long de sa vie. Elle, bof, elle ne fait que passer.

Bientôt huit heures quinze… D’une main énergique elle donne un deuxième coup de sonnette. Quand cette fichue porte s’ouvrira-t-elle enfin ?

Soudain, elle entend des pas précipités, un cliquetis de clés. Un tour, deux tours et la porte s’ouvre en grand sur un vestibule terne et peu accueillant.

- Entrez vite, désolé pour ce retard, dit un homme rabougri vêtu d’un vieux tablier d’un blanc douteux.

Elle fait un pas, un deuxième puis s’arrête indécise.

- Allons, suivez-moi, insiste l’homme tout en trottinant sur les vieux pavés inégaux.

Où est le beau temps que je me suis promis ?

L’interrogation est furtive dans l’esprit de la jeune femme.

Déjà elle rejoint l’homme dans une immense pièce garnie de grandes tables et d’étagères couvertes de rouleaux de tissu, plus colorés les uns que les autres.

L’homme grommelle un « pourquoi voulez-vous me voir exactement ? »

- Je me prénomme Mila. J’aimerais vous présenter quelques croquis et…

L’homme l’interrompt - « Je n’ai pas le temps de… » mais il ne finit pas sa phrase happé par le dossier étalé sur un coin de table. La jeune femme l’a tiré de son sac et déposé d’un geste brusque, presque rageur.

A présent, l’homme la bouscule, la tire par la veste et comme il se retourne elle voit ses yeux briller d’intérêt.

- Montrez, montrez-moi !

Elle ne peut s’empêcher de soupirer un ouf ! dans sa tête.

Lui feuillette, regarde et regarde encore.

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Le soleil est à présent plus haut dans le ciel et inonde de lumière l’atelier du tisserand. Ce dernier, tout rouge, tout rond d’une satisfaction qu’il voudrait dissimuler à la jeune femme, pose des questions, encore et encore.

Souriant intérieurement elle y répond sobrement. Dans son ciel de plomb personnel elle entrevoit enfin une éclaircie.

L’homme l’écoute mais ne peut s’empêcher de tendre la main et de ressaisir le dossier. Il cligne de l’œil vers tel ou tel dessin, tel assemblage de couleurs et la jeune femme cernant ses attentes l’oriente au mieux parmi ses créations.  

Familièrement il finit par demander « tu veux un café ? »

Comme elle acquiesce il poursuit d’un « dis donc ce n’est pas mal, pas mal du tout. Il y a longtemps que… » mais déjà il se détourne et, sur une étagère, saisit deux tasses ébréchées.

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- "CAMARADE SOLEIL" ce serait un beau nom pour une nouvelle collection de tissu... TA collection. Qu'en penses-tu ?

Dubitative, la jeune femme regarde le tisserand. Est-il sérieux ? Peut-elle lui faire confiance ? Puis elle se dit que c’est plutôt con de ne pas y croire. Pourquoi l’aurait-elle contacté si un brin d’espoir n’était pas en elle ?

- CAMARADE SOLEIL ? Oui, cela sonne bien.

Et de donner ainsi une identité à son travail, sa créativité, rend cette folie plus concrète. Ce matin, aurait-elle pensé vivre une journée pareille ?

Mais est-elle prête à faire entièrement confiance à un patron ?

Alors elle regarde longuement l’homme au tablier d’un blanc douteux et elle décide de ne voir que l’éclaircie qui s’élargit de plus en plus dans son ciel de plomb.

Oui, elle veut vivre et vivre à fond le beau temps qu'elle s'est promis !

 

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Publié le 7 Août 2020

image Mil et une

Bonjour ma cousine

Bonjour mon cousin germain…
Passez par ici et moi par là !...
 

Depuis quelques jours cette vieille comptine tourne en boucle dans la tête d’Hortense. Serait-elle nostalgique ?

Non, Hortense est plutôt dans l’action ! Et tout en fredonnant elle trace de grandes lettres blanches sur trois planches de bois dénichées dans la cave. Sur l’une on peut lire vers là, sur une autre par ici et sur la troisième ailleurs.

Quelques clous, un marteau et un vieux piquet… Bricoleuse dans l’âme, il faudrait beau voir qu’elle ne parvienne pas à installer le tout au jardin.

Bonjour ma cousine

Bonjour mon cousin germain…
Passez par ici et moi par là !...
 
Vers là, par ici, ailleurs, c’est dans ces directions que se sont éparpillées les filles d’Hortense et en ce beau jour d’été elle ressent particulièrement le manque de leur présence. Satané virus !
 
Bonjour ma cousine
Bonjour mon cousin germain…
Passez par ici et moi par là !...
 
Mummmm ! La petite installation au milieu du pré fleuri est du plus bel effet. Hortense s’empresse de la photographier et de l’adresser en clin d’œil à ses trois filles. Le soleil darde ses rayons implacables, il est temps pour elle de rentrer au frais et de savourer une petite sieste bien méritée.

 

Bonjour ma cousine

Bonjour mon cousin germain…
Passez par ici et moi par là !...

 

- Maman ?

- Bonjour ma chérie, bonjour Barnabé !

- Barnabé ne se décide pas à s’endormir ce soir.

 

Ce soir ? Oui, là-bas la nuit est déjà tombée...

Une fois de plus, via l’écran de l’ordinateur, Hortense observe avidement son petit-fils. Quand la vie lui fera-t-elle la ristourne d'enfin le prendre dans ses bras, ici ou là-bas, dans ce lointain ailleurs  ?

 
Bonjour ma cousine
Bonjour mon cousin germain…
Passez par ici et moi par là !... clic

 

La comptine chantonnée par sa grand-mère a fait merveille, paisible petit Barnabé s’est endormi.

Chut, ne le réveillons pas…

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