Les plus belles années

Publié le 6 Février 2022

 

 

Les caisses que Nora descend du grenier par le petit escalier escamotable s’empilent peu à peu dans le hall.

L’inspecteur Harry soupire. Il lui faut bien s’avouer que sans l’aide de sa collègue la tâche aurait été trop ardue pour son dos aux vertèbres un brin malmenées par le temps.  

Où sont passées mes plus belles années ? Au fond de ce fatras de carton ? L’inspecteur Harry, les bras ballants, semble transformé en statue.

Nora fredonne.

Nora fredonne quelle que soit la météo, l’humeur de son bientôt ex-supérieur ou de son compagnon.

Elle fredonne tout en jetant un regard interrogateur à son boss.

Que se passe-t-il dans la tête d’une personne quittant l’endroit où elle a vécu un grand nombre d’années ? Et tout ce petit univers empaqueté à quoi ça sert ?

La jeune femme est adepte du minimalisme et a des difficultés à comprendre les accumulations qu’elle juge compulsives.

L’inspecteur Harry soupire une fois de plus. Il s’est tellement réjoui de ce départ à la retraite, de cette vie pleine de promesses passée au soleil, libre, libre enfin de tout horaire, enquêtes ou autres obligations… et là, il se sent vide de tous ses repères.

Puis son œil frétille, il vient de repérer une caisse au carton orangé orné d’étranges fleurs. Déjà, il en sort sa vieille compagne, une machine à écrire sauvée du tout à l’informatique.

- Une antiquité bonne pour le marché aux puces, s’exclame Nora.

Harry fronce les sourcils qu’il a touffus. Comment faire comprendre à sa jeune collègue les liens qu’il a entretenus avec ce clavier ?

- Gmrr…

- Vous dites ?

- Je dis que si cette machine à écrire pouvait parler elle vous décrirait tous les suspects que j’ai eu l’occasion d’interroger.

- Bof, je connais la ritournelle, je l’entends tous les jours…

Oui, elle a sans doute raison, pense l’inspecteur Harry, les années passent mais les humains restent d’immuables suspects et les criminels se cachent souvent sous des dehors courtois ou angéliques.

Nora toujours afférée redescend la dernière caisse et se saisit de l’aspirateur qu’elle passe là-haut en un temps record.

Déjà 17 heures, il est temps pour elle de rentrer au bercail.

Harry la regarde partir, penaud, son billet à la main.

- Si on ne peut plus s’entraider où va-t-on ? a rigolé Nora en le voyant fouiller dans son portefeuilles. A lundi, pour le pot de départ ! J’avoue, chef, vous allez me manquer !

Penaud, oui, l’inspecteur l’est d’autant plus que jamais il ne lui avouera avoir jadis arrêté ses grands-parents, de fameux escrocs au quant-à-soi plus que trompeur.

Bon, c’est décidé, cette machine à écrire et la plupart des autres contenus des caisses finiront aux encombrants et peut-être, comme lui, Harry, connaîtront une autre vie !

Et vive le soleil pour encore de longues et belles années !

 

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Pour Mil et une - clic et clic

image : James Cokk - clic et clic

 

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E
c'est sur que si certains objets pouvaient parler... la retraite, frontière dont sur le moment on ne mesure pas l'étanchéité, entre vie sociale et glissement vers la transparence - tes personnages et le scenario sont très vivants , merci, Mony, pour ce bon moment
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M
Oui, je ressens également ce glissement, insidieux, vers la transparence.<br /> Une machine à écrire pourrait être très, trop, bavarde, je crois.<br /> Merci Emma !
C
Si Harry savait comme le temps de retraite est bon......pouvoir se lever avec le jour, ne plus avoir de contraintes si ce n'est celle de ce l'on aura choisi de faire. Cette Rémington mériterait de finir dans un musée pour que les nouvelles générations aient une idée de ce qu'i y avait avant tablettes et clavier.<br /> Est ce Harry ou Nora qui a dessiné ce magnifique portrait de couple, à moins que cela ne soit toi !<br /> Mony, j'ai pris grand plaisir à te lire; cela faisait si longtemps que tu étais silencieuse ! Je te souhaite une journée plus ensoleillée que la mienne !!!
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M
Non, je n'ai pas de dons artistiques contrairement à toi, Chinou. Cette technique étonnante de dessin est proposée par James Cook (lien sous le texte) Merci de ton passage :) J'aimerai te contacter mais j'ai déjà fait deux tentatives via le lien de ton blog...
A
Maintenant que Nora en a terminé avec les cartons de l'inspecteur Harry, elle peut passer chez moi, il y en a pas mal aussi ( rire)
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M
Hé, hé, qui sait ce serait peut-être pour Nora une façon de changer de job et d'horizon ? Merci de ton passage, Aimela. A te lire bientôt !
M
Hé oui, les cartons regorgent de notre passé...qu'il est bon parfois de mettre aux encombrants ! Grands parents escrocs ou pas ;-) Tu m'as fait rire avec cette anecdote surprenante, bonne journée Mony
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M
J'avoue devenir comme Nora, j'allège le contenu du grenier et des armoires. Pas encore assez à mon goût... Merci de ton passage Martine-Louve !
A
Sympa la vidéo :)<br /> J'aime bien ton texte, c'est vrai qu'une vie tient dans quelques cartons, instant d'émotion pour l'inspecteur Harry qui ne gâchera pas la retraite tant souhaitée.
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M
Quand j'écris une petite bafouille j'ai souvent une musique en tête :)<br /> Oui, quelques cartons peuvent représenter un chemin de vie et peuvent manquer quand des inondations comme on en a connu de ma région emportent tout.<br /> Merci, Almanito, à te retrouver bientôt pour des photos ou un écrit.