Publié le 27 Février 2018

Il ne sait pas, Greg, non il ne sait pas.

D’ailleurs c’est ce que sa mère lui a toujours dit : tu ne sais rien, étudie ! 

Etudier, Greg a toujours détesté ça. Lui ce qu’il aimait faire après les cours c’était feuilleter une B.D. de Batman ou jouer à Super Mario sur sa console.

MA CONSOLE, disait-il, en appuyant sur les mots comme pour défier sa mère.

Elle, excédée, haussait les épaules sans ressentir la consolation distillée par ce mot dans le cœur de l’enfant à qui elle ne parlait jamais de son père.

Tes super-héros ce n’est que du vent, ce n’est pas eux qui te feront grandir, lançait-elle en point final.

Grandir, Greg l’a fait et ses super-héros ont vieilli.

Sa mère est partie un matin de printemps vivre dans le sud à la recherche d’un oubli, d’une autre vie. Depuis combien de temps ne l’a-t-il plus vue ? A l’heure du numérique elle semble à des années-lumière de lui.

Nouvelle fuite, a conclu Greg, apparemment trop indifférent pour s’en tracasser ou trop accaparé par son métier de sapeur-pompier pour lequel il s’investit à fond, grimpant peu à peu dans la hiérarchie.

Fonder une famille, créer un cocon ? Non, il n’en ressent pas le besoin. A quoi bon ?

Ce n’est pas un être insensible ou égoïste pour autant. Hier, interpellé par un appel aux dons de sang en ces temps de grandes vacances, il n’a pas hésité une seule seconde à se porter, une fois de plus, volontaire.

Mais il ne sait pas, Greg, que dans un hôpital, là-bas, une vieille dame a une pensée émue pour le donneur anonyme à qui elle doit la vie sauve.

Qui que ce soit, c’est pour moi un super héros, a-t-elle chuchoté à l’infirmière.

Non, Greg ne sait pas et ne saura jamais qu’un peu de son sang a rendu vie à sa propre mère…

 

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Publié le 4 Février 2018

Aidan Sartin Conte - clic et clic

En garniture, trois tranches de kiwi se chevauchent légèrement.

Il en mange une.

Sur le bord de l’assiette, il en reste deux qu’il contemple fixement.

Regard bleu acier dans regard bigleux.

Il porte une deuxième tranche à sa bouche.

A présent, une unique rondelle à la pupille verte le scrute intensément.

Comme aspiré, il s’y engouffre et tout un monde lointain s’offre à lui.

Flou, flou, flou font les battements d’ailes d’un ara coloré.

La chaleur est lourde puis est soudain allégée par une écume fraîche qui rejaillit sur sa peau étrangement dénudée de son habituel carcan vestimentaire.

La paresse le gagne, ne plus penser, se laisser aller, devenir doux comme le pelage de ce koala accroché mollement au regard vert.

Passe un papillon, un second. Vies éphémères le replongeant instantanément dans la sienne. Regard pers d’une gamine le suppliant. Fermer les yeux, rejeter cette prière.

Vite, se replonger dans l’œil vert, oublier ce caïman aux dents pointues qu’il est. Qu’il était ? Il ne sait plus…

Un oiseau, kiwi à la vue médiocre, réussit pourtant à dénicher son cœur. En cadence, il picore, encore, encore, ignorant le scarabée, proie d’or suspendue à proximité.

Le cœur se fait dur. Ne plus palpiter à tout rompre.

Survie.

Sur Vie.

Vie innocente.

Vie volée.

L’oiseau s’entête, casse enfin la carapace de pierre.

Des larmes coulent libératrices sur le visage barbu de l’homme.

Il les essuie furtivement.

Son regard quitte le regard vert, délaisse l’assiette sur la table et se porte vers le léger rayon d’un soleil parcimonieux filtrant de la fenêtre garnie de treillis.

Pour la première fois depuis des mois de captivité, l’homme s’avoue enfin ses errements fous.

Le guichet de la porte barricadée s’ouvre, le plateau-repas y est posé d’une main tremblante.

La dernière tranche de fruit est expédiée dans la poubelle des déchets végétaux.

Dans six mois, dans un an, elle sera terreau d’une autre vie.

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Pour Mil et une - clic - février 2018

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