Publié le 28 Mai 2014
Le Roi Arthur est en partance, le Roi Arthur prend son essor. A bord de son navire il me convie et vers le pays inconnu d’outre mer il m’emmène. Du haut du pont, accoudé au bastingage, il défie sa cour se morfondant sur le port. Nul n’est avisé de la destination, nul ne connaît la durée de son voyage. Le Roi Arthur donne l’ordre d’appareiller et dans le ciel les mouettes rieuses le saluent de leurs cris joyeux "bon voyage Sire, bon voyage… bon voyage… bon voyage…"
A bord, le Roi Arthur se meut comme un vieux marin, à bord le Roi Arthur est Capitaine. Il sifflote un air guilleret puis d’une voix tranchante lance ses directives : "que l’on nous apporte des rôts saignants et des fruits juteux, deux pintes de bière d’épinettes et que l’on nous laisse seuls"
Le repas est à présent terminé. Dans le château arrière tout est calme hormis le léger roulis et les bourrasques du vent du large si inhabituel pour nous. Il nous enivre comme le ferait un alcool fort, déjà nous perdons le contact avec le monde d’avant. Un marin au faciès crapuleux et torve entre dans la cabine ; sans un mot il dessert la table. Sur un geste de son souverain, il l’aide à se déchausser de ses lourdes bottes de cuir fauve puis va quérir dans une maie un plat de sucreries préparées tout spécialement par le confiseur du palais. Après l’avoir posé sur une table basse il me lance un sourire narquois et s’éclipse discrètement. A nouveau nous sommes seuls Arthur, mon oncle, et moi.
Le Roi Arthur m’attire alors tendrement vers sa couche. Il n’y a aucune ambiguïté dans notre relation et tandis qu’il s’allonge, je m’installe sur un tabouret à ses côtés.
"Petite sers-toi" dit-il en désignant les friandises.
Ces mots à peine prononcés, il baille et s’endort d’un sommeil profond. Décontenancée par son comportement, je me laisse tenter par les sucreries mais sitôt la première bouchée avalée, je sombre à mon tour dans un état léthargique.
Tout semble bleu et étrange. En sourdine, j’entends une voix intérieure, obsédante à force de chuchoter "Sixièmement, sixièmement…
Sixièmement, Arthur est condamné à oublier la Reine Fine. S’il vient à désobéir à cette sentence, il sera procédé à son déboulonnage immédiat et il sombrera dans un sommeil irréversible. Quoi qu’il arrive, aucune mesure dérogatoire ne pourra être prise en sa faveur"
Le Roi Arthur dort et je m’enferre dans ma rêverie bleue.
Le Roi Arthur dort, je dois le réveiller, je dois le ramener vivant vers ses terres d’origines.
Le Roi Arthur dort et je bataille pour sa survie.
Je dois...
Je dois !
C’est à présent la voix de mon oncle qui prend possession de moi.
"Petite ne t’entête pas, je veux rejoindre la Reine Fine par-delà les mers. Conduis-moi... conduis-moi..."
Le Roi Arthur est en compagnie d’une femme inconnue ; je les vois, ils sont lumineux et rayonnent de bonheur.
Qui est cette dame ? La Reine Fine ?
Tout se trouble, mes oreilles résonnent de sons les plus étranges.
"Madame, c’est l’heure des soins"
La voix de l’infirmière m’extrait de la torpeur dans laquelle je me suis engluée. Etendu inconscient sur le lit d'hôpital, oncle Arthur lutte pour le sixième jour consécutif.
Combien de temps va-t-il encore résister à l’appel de la Reine Fine ?
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Mon Roi Arthur a rejoint la Reine Fine un certain 28 mai...
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peinture - James Archer