Publié le 30 Mai 2013

 

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      Tip, tip, tap, top, tip, tip… les doigts de Malika tapotent le clavier à la cadence d’un métronome. Pour l’accompagner, l’ordinateur chuchote une mélodie de fond.

Clic ! L’imprimante fait vibrer ses tambours, court de gauche à droite sur le papier qui s’étire au tempo imposé. Une copie, deux…dix… Malika s’étire, se sent lasse.

Ting ! Un nouveau message atterrit dans la boîte de messagerie après un vol sans souci dans les mystérieux couloirs du Net. Clic ! Malika l’ouvre tout en répondant au téléphone qui vient de réclamer son attention par maintes sonneries. Sa voix se mêle à celles de ses collègues. Brouhaha habituel accentué par le passage incessant des véhicules à quelques pas, de l’autre côté de la baie vitrée.

Objet : Le son du silence en P.J.

Clic ! L’image remplit l’écran d’un paysage aux tons et à la lumière étranges : des champs entourés de quelques bosquets, des maisons aux toits rouges ou gris, une église au clocher pointu et en arrière fond des montagnes mauves.

La main gauche de Malika dépose doucement le téléphone, la droite vient la rejoindre sur le bureau, toutes deux se sentent vacantes.

- Entends-tu Malika, le son du silence ?

La voix de son grand-père est douce aux oreilles de la jeune femme.

- Le son du silence ? A quoi ressemble-t-il ? Au bonheur ?

- Le bonheur, qu’est-ce Malika si ce n’est ta paix intérieure ?

- Et la paix intérieure est-ce du silence ?

- Petite, écoute !

- Ecouter quoi ? Un avion dans le ciel ? Une chanson ? Le bruit de la pluie ?

- Ecoute le son du silence…

- Mais tu parles, un chien aboie, une porte claque…

- Dans ton paysage intérieur, là, tu peux entendre le son du silence.

La voix du grand-père s’est tue. Elle est muette depuis si longtemps…

Malika observe l’image sur l’écran, ressemble-t-elle à son paysage intérieur ?

Non ! Loin de là ! Le son de son silence à elle est fait de joie, de rires d’enfants, de mots doux chuchotés, de secrets partagés, de couleurs vraies, franches et gaies. Le seul fait de l’évoquer le fait vibrer à ses oreilles. C’est un silence vivant et riche de mille petites choses. C’est le son de SON silence.

Ting ! L’arrivée d’un nouveau message sort Malika de ses pensées.

Objet : retour à la réalité

Malika se retourne vers Rachel, sa collègue qui vient de lui adresser les deux mails.

Un clin d’œil, deux sourires. Entre elles, le son du silence est une douce mélodie.

Ce soir elles se retrouveront à l’atelier de peinture et dans l’amitié et l’émulation elles tenteront, avec leur sensibilité propre, d’exprimer leur paysage intérieur.

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Pour Mil et une (clic) d'après une peinture de Raymond Queneville à découvrir ici (clic)

source photo - clic

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Publié le 24 Mai 2013

Odile observe cette femme qui lui rappelle vaguement quelqu’un…
Sa mère ? Oui, probablement… Même tablier ceint autour de la taille, même gestes cent fois répétés. Le souci permanent de nourrir une grande tablée et de veiller à répartir équitablement les rations en fonction de l’âge ou du travail fourni tout au long de la journée voilà qui maintenait sa mère en activité dès le matin.
 
Les doigts d’Odile lissent doucement la peinture représentée sur le couvercle de la boîte, s’attardent sur le haut front luisant, semblent happer un morceau de pain ou décrocher le haut panier. Que contient-il ? Des denrées mises à l’abri de la voracité des souris grises ? La nappe défraîchie semble rugueuse au toucher, elle devrait être remplacée par un beau drap amidonné. Sa mère, si fière de son intérieur, n’aurait jamais toléré ce chiffon sur sa table.
 
Depuis une heure Odile trie les pièces du puzzle par couleurs… Ici, pas de rouge et de vert flamboyants, seuls les bleus et le rouge brique animent la moitié de l’image. Quand les différents tons forment de petits tas encore séparés par nuances, elle extrait un à un les morceaux présentant un côté droit, s’amuse à dénicher les quatre pièces d’angle et lentement entame par les bords la reconstitution de la peinture de Vermeer.
 
Qui était ce peintre ? Quels autres sujets avait-il peints ? Sa curiosité en éveil Odile saisit son vieux dictionnaire.
 
V… Verdun… Verhaeren…Vermandois… Vermeer (Johannes) dit Vermeer de Delft -1632 -1675…
 
Quarante-trois ans ? Ce n’est pas long pour une vie ! Quarante-trois ans c’est l’âge d’Odile qui espère vivre encore de longues années et se promet de visiter le Rijksmuséum d’Amsterdam dès qu’elle sera rétablie de la fracture de sa malléole gauche.
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Jacques, le mari d’Odile, a collé le puzzle de mille pièces sur un support en liège et l’a suspendu au mur, là où l’escalier tourne et est le plus dangereux.
 
Ainsi tu te souviendras d’être plus prudente et tu ne dévaleras plus les marches en trombe !
 
Odile a repris le chemin du boulot et durant les vacances Jacques et elle ont visité Amsterdam et d’autres villes et pays.
 
La vie s’est écoulée avec ses joies et ses peines. Jacques est décédé des suites d’un accident de voiture et Odile a continué seule son chemin. Elle est à présent une retraitée active et toujours curieuse de nouveautés et de découvertes culturelles.
Au mur "La laitière" lentement vieilli elle aussi et le puzzle insidieusement se décolore. Il faudrait retapisser, rafraîchir la cage d’escalier mais Odile ne s’y résout pas.
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La camionnette de "Victor - vide maison de la cave au grenier" est stationnée devant la maison d’Odile et de Jacques. Victor sollicité par un neveu du couple emporte pièce après pièce ce que les héritiers ne désirent pas conserver.
Il décroche le puzzle du mur, le retourne, scrute le liège et décide de garder l’objet à des fins personnelles.
 
"La laitière" poursuivra désormais son parcours face aux blocs gris de son atelier, alourdie de crochets et de quelques outils.
 
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Pour Mil et une (clic)  -  peinture "La laitière" de Vermeer clic

 

 

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Publié le 20 Mai 2013

 

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Le piano vibre sous mes doigts déliés, la mélodie s’envole, aérienne, se fait insistante puis lentement se transforme en un murmure. Je suis ce murmure, je ne fais qu’une avec lui. Légère comme une plume, je m’évade enfin, plus rien ne me fait peur.

- Dominique ? Dominique, il est l’heure !

Je sursaute en entendant ce prénom. Jamais, non jamais, je ne m’y ferai. Pourtant, c’est bien à moi que Marie s’adresse. A moi, Dominique ! Pourquoi ne me laisse-t-elle pas, j’étais si bien ?

- C’est joli ce que vous jouez, c'est de qui ?

Une fois de plus, je me sens piégée. Quand cela cesserait-il ? Les yeux fermés sur mes ténèbres, les mains subitement crispées, je hausse les épaules. A quoi bon répondre, Marie connaît parfaitement ma réplique habituelle.

A regret, je délaisse le piano et en boitillant, je traverse la salle commune désertée à cette heure par les autres pensionnaires. Marie me prend par le bras et de sa voix douce me propose de remplacer les exercices de kiné par une promenade dans le parc. Au rythme bancal de ma jambe gauche douloureuse, séquelle de cet accident qui m'a laminé le corps et l'esprit, nous progressons lentement dans les allées ensoleillées. Marie papote de tout et de rien, de son chien Kiki, du menu du déjeuner, de son cours d’aérobic et je ressens ses tentatives pour me permettre de m’exprimer à mon tour comme autant de lames s’enfonçant dans mon corps. J’ai beau en reconnaître le bien fondé néanmoins ces bavardages me fatiguent et me laissent seule face à moi-même, seule face à ce compagnon inamical, l'oubli.

- Sentez-vous les lilas ? J’adore leurs effluves et vous ?

- Oui, c’est très frais !

Et j’en reste là. Que dire d’autre ?

Du coin de l’œil, Marie m’observe et note toutes mes réactions. Pour faire diversion, je lui propose de nous reposer un moment sur le premier banc venu. A peine sommes-nous installées que je le vois apparaître au détour du sentier. Immédiatement, un frisson me parcourt, violent.

Marie s’inquiète : "Avez-vous froid ? Voulez-vous rentrer?" Puis, avant d’écouter ma réponse, elle s’exclame : "Voici votre mari ! Je vous laisse, passez une bonne après-midi"

Lui, mon mari ? Tous les papiers officiels le démontrent, mais jamais cet homme ne peut être mon mari ! La moindre parcelle de mon corps se révulse à la simple idée qu’il me touche, aussi depuis sa première apparition à l’hôpital, je me suis refusée à tous contacts physiques avec lui. Cet homme est bien de sa personne et d’une tenue soignée mais il en émane des bouffées et des relents indéfinissables et écoeurants que moi seule perçois. A chaque rencontre, le supplice est le même, je me sens nauséeuse et incapable de prononcer un mot. Hélas, il ne semble pas se décourager et est fidèle au rendez-vous qu’il nous impose.

- Bonjour Dominique ! Comment te sens-tu aujourd’hui ?

De quel droit me tutoie t-il ? Mes yeux vagabondent, l’ignorent…

- Je t’ai apporté un petit cadeau. C’est ton parfum préféré, celui que tu portais jour et nuit. Je le dépose là près de toi.

Mon parfum préféré ??? J’hallucine ! Qu’il s’en aille, lui et ses souvenirs qui ne peuvent être les miens ! Il parle encore et encore…. Je m’évade…

23 heures… Sur la commode, le flacon de parfum me nargue d’un "ouvre-moi si tu l’oses" De rage, je le saisis, dévisse le capuchon et hume ce bouquet boisé à en faire exploser mes poumons. Rien, rien, RIEN…. Les larmes jaillissent… Un cadeau… tu parles d’un cadeau ! Le néant…..

Néant pour néant, je choisis. J’ouvre la commode, déniche les comprimés accumulés discrètement au fil des semaines et j’ingurgite le tout. Méticuleusement. Soigneusement.

Enfin, je prends soin de moi ! Je me sens heureuse ! Le contenu du flacon de parfum déversé sur le lit forme un joli papillon aux ailes déployées. Doucement, tendrement, je le caresse.

Doucement, tendrement, je laisse s'endormir mon corps sans souvenir.

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Publié le 16 Mai 2013

EMAG OWT

YDEAR ?

OG !

Monray enfonce la touche de l’index droit et pour la deuxième fois il est translaté dans le même décor. Un premier et court essai l’avait mené jusqu’au pied du plus haut bâtiment, celui surmonté d’une étrange antenne dont Monray et son équipe n’ont pu encore déterminer l’utilité. Cette ultime mission consiste à atteindre au plus vite le sommet de la colline à gauche du paysage où un translateur OG EMOH le recueillera.

A grandes foulées, il rejoint la route à l’étrange revêtement orangé. Mais déjà l’angoisse réduit son pas et la sueur dégouline le long de son échine. Pourtant sa détermination l’aide à faire abstraction de son "moi" pour se concentrer à nouveau sur son objectif. Les capteurs dont il est muni enregistrent toutes les données de l’étrange environnement. Les champs aux courbes douces et aux épis immobiles, les zones éclairées par des rayons lumineux, alignées au côté de zones ombragées, la végétation tantôt en hauteur, tantôt plus compacte ainsi que les habitations parsemées ou regroupées sont analysées sous toutes leurs facettes, pas le moindre détail n’échappe à l’investigation.

L’angoisse reprend à nouveau le dessus dans l’esprit de Monray. Comment résister à la peur engendrée par cet univers ? Ici, pas un seul son n’est perceptible, pas un souffle de vent n’anime le végétal ; ni faune, ni humains ne sont visibles, pas le moindre filet d’eau ne s’écoule dans les creux de terrain… Tout est figé dans une sorte d’attente irréelle. Monray inspire puis expire lentement l’air fourni par la paroi de sa combinaison ultra légère. Sans elle, il ne survivrait pas plus de trois minutes. Les pionniers qui l’ont précédé peuvent témoigner de l’épreuve que furent les premiers contacts avec cette planète bleue.

«Détends-toi, Monray, observe à présent la butte qu’il te reste à gravir. Derrière elle doit se trouver ce que nous cherchons» La voix télépathée de Rougou, son mentor, résonne dans son cerveau et Monray reprend confiance en lui. Inspirer, expirer… La montée est rude sur ce terrain desséché par la chaleur accablante. Tous les dix mètres, Monray fait consciencieusement une courte pause pour reposer son coeur en souffrance puis courageusement il continue de grimper. Quand enfin il foule le sommet de la colline il sait intimement qu’il a enfin atteint le lieu si longuement recherché au cours des siècles, ce noyau central dont parlent tous les vieux écrits des Pairesmigrants.

Dans la vallée, la ville de Quenne, atomisée, s’offre à lui dans toute son horreur apocalyptique et irrésistiblement l’attire à elle comme un puissant aimant.

«Résiste, résiste ! insiste la voix de Rougou. Le translateur OG EMOH ! Appuie sur la touche ! Vite !»

Game over 

Monray est redevenu Julien et il quitte le cybercafé pour se retrouver parmi la foule dans les bruits et l’air vicié de l’avenue.

Tout là-haut, la flèche de la tour de la cathédrale semble le toiser avec ironie.

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Pour Mil et une (clic)   -  Peinture de Raymond Quenneville (clic)

 

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Publié le 12 Mai 2013

Le linge humide s’agite joyeusement sous les assauts coquins d’une petite brise printanière. Non loin, dans le potager à la terre retournée de frais, Didier, les yeux plissés, est concentré sur les différents sachets de semences

- Pourraient pas écrire plus petit, ces crabes ! J’ai pas les bras assez longs, moi !

En trois pas, il rejoint la cabane de jardin, « ton antre » comme la dénomme ironiquement Louisa. Mais pas de trace de ses lunettes.

- Zut ! Je les ai oubliées sur la table de la cuisine, grommelle le jardinier.

Un coup d’œil vers le bow-windsons par les vitres duquel il voit Louisa allongée sur le divan face à la télé décourage Didier de rentrer.

Rien ne presse. Les plants de courgettes et de potirons achetés ce matin au marché et déjà replantés attendront demain avant de partager l’espace avec les semis de carottes, de persil ou de mâche…

Didier s’installe sur le petit banc de bois accolé à son abri et, heureux, observe le va et vient incessant des mésanges squattant le nichoir suspendu au pommier en fleurs.

Bonheur !

Bonheur d’être à l’air, de se mouvoir sans soucis. Bonheur de ne pas entendre la voix de Nagui ou de Ruquier, les dialogues des Feux de l’amour ou les infos du jour…

Bonheur si simple qu’il en devient précieux comme une perle rare. Bonheur qui lui a tellement manqué durant ce long hiver où il est resté enfermé à longueur de journée avec Louisa. Pas méchante sa Louisa… non pas méchante, juste un brin maniaque et friande de séries à épisodes à rallonge alors que lui apprécie les reportages sportifs.

Chant de merle, pies qui se disputent un ver de terre… bientôt, dans un jour ou deux, voir une semaine, les hirondelles seront de retour… Louisa !

Louisa va encore rouspéter si ces jolies demoiselles tentent de construire leur abri sous le débordement du toit.

Didier ricane et l’imagine, à la fenêtre de l’étage, s’esquintant comme chaque année avec un manche de brosse pour tenter en vain de détruire le nid de terre sèche.

- Pas assez grande ma poulette !

- Tu parles tout seul à présent ?

Didier sursaute. Louisa, la corbeille à la main se dirige vers la lessive déjà séchée.

Didier, dont les mains terreuses le dédouanent de toute aide, replonge dans ses pensées. Il faudrait tondre, nettoyer la terrasse, s’occuper des parterres…

Un moineau vient boire dans la petite mare, le chat du voisin le guette, patient…

Une prairie couverte de pissenlits et de cardamines… Louisa et lui allongés… qu’elle était belle et gaie, mutine et si désirable… désirable, elle l’est toujours… Et lui ? A-t-il changé ? Comment le voit-elle à présent que le printemps de leur vie est derrière eux ?

Elle sentait la violette… et si ?

Le maigre bouquet de violettes dénichées dans la rocaille ne paie pas de mine mais qui sait, peut-être lui vaudra-t-il un baiser ? Ne pas oublier de changer de chaussures dans la cave, se brosser les m…

- Louisa ! Que.. que…

Au bas de l’escalier, Louisa est étendue parmi des pans de tissu éparpillés, la corbeille retournée et vide à ses côtés.

- Ma hanche, parvient-elle à chuchoter en grimaçant un vague sourire qui se voudrait rassurant.

Comme il est loin soudain, le temps insouciant des cardamines.

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Pour Mil et une clic  -  Le printemps - L'Atelier de Vitrail (clic)

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Publié le 9 Mai 2013

Déjà lundi matin ! Marco soupire intérieurement. Costume-cravate étriqué, sembler s’intéresser aux cours de la Bourse, donner le change à son collègue embarqué dans la même rame de métro, re-soupir discret. Marre de cette vie factice !

Dans une heure, il sera assis dans son bureau : recevoir les clients le sourire aux lèvres, les orienter au mieux dans leurs transactions financières, être le plus vorace parmi le ban de requins, triste perspective. Lui, le rêveur, l’artiste, se faire passer pour un économiste avisé, quel décalage avec sa réalité.

Il la sent à ses côtés, elle tarde à le quitter, s’impose à lui si intimement. Ils se frôlent, frémissent. Toi, moi !

La séparation se fait de plus en plus ardue au fil des semaines. Bientôt, il le pressent, il ne pourra plus se passer de ce tulle aéré, de ces épaules dénudées et offertes aux regards. Désormais sa vraie vie est là et il le sait. Encore trois stations et c’est la cohue dans les couloirs tristes. Grandes enjambées attaché-case à la main, air conquérant.  

Faux ! Faux ! Tout est faux !

Un seul regard dans le reflet d’une vitrine le confirme, elle est présente plus que jamais en lui. Le démaquillage, la douche, quelques heures de repos n’ont pas suffi à délimiter leur territoire respectif. Ignorer le regard qui se voile, tousser et d’une voix assurée répondre n’importe quoi au collègue, donner le change, encore, encore…

Il a mal à elle, mal à lui mais dans six mois, dans un an, leur fusion sera inéluctable. Finis les week-end bien trop courts durant lesquels il peut vivre en étant elle, les courtes soirées décalées du quotidien, Lola pourra enfin s'épanouir au grand jour.

 A cette pensée, Marco se détend et sourit enfin à cette femme qui depuis toujours l’accompagne et sommeille en lui.

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Publié le 5 Mai 2013

miletune

           Qu’elle était belle, tantine, avec son teint frais et sa longue chevelure ondulée qu’elle démêlait à grands coups de brosse devant le petit miroir suspendu près de la porte du jardin. Comment ne pas admirer cette tante - grande sœur - si pleine de vie ? Pour moi, élevée entre quatre garçons, elle représentait la jeunesse et la féminité et je l’aimais d’un amour inconditionnel. Passer quelques jours de vacances en sa compagnie chez ma grand-mère, veuve depuis peu, était un vrai plaisir.

Pluie ou soleil à la carte du ciel, tante Jenny m’emmenait partout avec elle mais ce que je préférais entre tout, c’était de partager son grand lit et de dévorer simultanément un paquet de pop-corn et des "Nous Deux", activités qu’aurait assurément désapprouvées ma douce maman…Toujours heureuse de manipuler un livre ou un magazine, ce dont nous ne manquions pas chez nos parents, je découvrais avec ravissement les romans-photos et leur monde merveilleux découpé en séquences. Les personnages, plus rigides que dans les BD, y prenaient la pose, figés jusqu’à la photo suivante.

Ici, j’observais une danseuse de french-cancan peu vêtue se métamorphoser en dame chapeautée et digne… Dans mon esprit les questions se bousculaient… Ainsi les gens pouvaient avoir plusieurs aspects ? Lequel était le vrai ? …

…Là, un bel espagnol me faisait pénétrer dans l’univers inconnu de la tauromachie si lointain des paisibles troupeaux de vaches qui paissaient dans nos prés. Olé ! olé ! criait en gras la foule déchaînée… Le toréro, fier et droit, maniait la cape agaçant l’énorme taureau.

La respiration en suspens, je découvrais dans les gradins son amoureuse inquiète et fébrile.

Le beau toréro esquivait les assauts, une fois, deux fois… l’orchestre faisait résonner des trompettes dans ma tête… un coup de corne et l’homme gisait ensanglanté…

J’en avais le cœur serré pour la jolie señorita. Comment pouvait-on apprécier un jeu aussi dangereux ? Allait-il se rétablir ? L’aimerait-elle encore ?

L’amour ! Voilà qui faisait accélérer mon cœur d’enfant… Les amoureux blottis dans les bras l’un de l’autre et le fameux baiser sur la bouche me projetaient vers un futur que j’entrevoyais fait de douces rencontres et de félicité. Peu importait l’histoire, la passion était toujours au rendez-vous et mon imaginaire palliait les lacunes dues à ma lecture encore hésitante. Parfois, je m’endormais le magazine à la main mais le plus souvent je me lovais tout contre Tantine qui continuait à lire, et avant de fermer les yeux j’admirais la photo de Kim Novak affichée au mur.

Pourtant, malgré la douceur et la beauté de l’actrice, je fis, une nuit, un rêve effrayant dans lequel je me voyais hurler sous un soleil fou puis tout se brouilla dans un amalgame de points colorés. Que j’étais angoissée ! La nausée me réveilla et d’un bond je m’enfuis soulager mon estomac dans l’évier.

Au petit déjeuner, le cœur encore au bord des lèvres, je dus subir les regards courroucés de ma grand-mère qui grommelait en wallon, cette belle langue d’oïl qui lui était familière, - magnî dèl pop-corn a r’lètchen deûts, è vola el a in visâdje come del croye ! (manger du pop-corn à s’en lécher les doigts, et voilà, elle a un visage comme de la craie)

 Tante Jenny me fit un clin d’œil tout en continuant à siffloter comme elle en avait l’habitude quand un rendez-vous avec son amoureux était au programme de la journée. Cette bonne humeur et cette insouciance me remirent vite sur pied. Il me fallait être en forme pour sortir, c’est qu’il me plaisait à moi aussi son galant, comme le dénommait Bonne-maman !

Tante Jenny avait, a toujours, quinze ans de plus que moi et elle est aussi chère à mon cœur qu’au premier jour…

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Pour Mil et une (clic) d'après Munch - Pollock - Rossetti - Manet - Toulouse Lautrec

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