Publié le 30 Septembre 2017

  Quint Buchholz - clic

 

 

La grande migration débute à l’aube, à l’heure où la brume encotonne le paysage d’une douceur énigmatique.

 

C’est d’abord un vol d’oiseaux aux mouvements lents et réguliers. Flop, flop, flop !

Puis un deuxième, plus rapide. Fouuuu !

Et un troisième, énervé et bruyant de s’être laissé voler la vedette lui qui veut mener la danse céleste. Piououou, piououou !

 

Un cocorico sonore, surgi dont ne sait où, rappelle tous ces beaux emplumés à l’ordre, Maître Coq veille à l’ordonnance de la cérémonie.

 

C’est au tour de Victor, le musicien, de s’installer à même le pré pour saluer le lever du soleil. Au gré de son inspiration, la musique enrobe l’atmosphère, la pimente de mille arpèges tantôt joyeux, tantôt sobres puis s’élance dans une folle sarabande.

Des voix se joignent aux sons de la viole de gambe, précises, cadencées, lumineuses…

 

Puis un frou-frou délicat se répète encore, encore… frou, frou

Messire Escargot foule lentement la rosée et malgré sa taille imposante sa migration immuable ne dévie pas de sa trajectoire. Ses yeux mobiles clignotent de droite à gauche, de haut en bas semblant prévenir les alentours :

 

" Mesdames, Messieurs me voilà, ma maison est à votre disposition "

 

La viole magique est rangée dans son étui, les voix s’éteignent une à une.

 

Victor se lève, s’ébroue, saisit son sac à dos posé sur le banc et se met en marche.

Faisant fi de l’adversité du quotidien qui se rappelle à lui, il chantonne en pénétrant dans le métro.

 

Pour lui sa grande migration journalière commence !

 

(pour Mil et une en juillet 2016)

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Publié le 6 Septembre 2017

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            Comme la nuit tombait, Gilles se décida à rentrer. Il aurait dû mettre des gants, un bonnet, une veste plus chaude ce qui lui aurait permis de flâner encore, de ne pas se sentir prisonnier dans le petit appartement à seulement dix-huit heures.

"Vivement l’été !" Il avait marmonné ces mots entre ses dents comme il le faisait de plus en plus souvent à propos de tout et de rien.

En entrouvrant la porte il prit une forte inspiration puis expira longuement, bruyamment, tout en s’ébrouant comme un jeune chiot, faisant danser ses longues boucles poivre et sel. Dans son bocal, le poisson rouge tournait, tournait, indifférent aux saisons et Jeanne vautrée dans l’unique divan, le regard rivé à l’écran de télé, sifflait son énième verre de Martini. Un ou deux par épisode d’une quelconque série américaine… Gilles avait abandonné l’idée d’en faire le décompte journalier. Les cadavres de bouteille tenaient seuls le rôle d’étalon et les voir alignés à même le carrelage du coin cuisine provoqua chez lui un violent haut-le-cœur. Comment pouvait-on boire de pareilles doses de ce breuvage infâme ? Comment sa compagne en était-elle arrivée là ?

- Tu es passé au supermarché ? interrogea Jeanne d’une voix pâteuse, ce que Gilles traduisit instantanément par : "Tu m’as rapporté mes bouteilles ?"

- J’ai acheté des œufs, du jambon et du pain. Je vais préparer une omelette.

- Pas faim, fut la seule réponse de Jeanne.

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Du boulevard pointaient quelques coups de klaxon joyeux. Gilles, de la fenêtre, découvrit son voisin de palier faisant de grands signes d’au revoir à l’adresse d’une voiture qui déjà prenait de la vitesse.

- Jules est de retour des sports d’hiver. Il est parti avec son fils et sa famille cette année.

Les ronflements de Jeanne et le bruit de fond de la télé furent le seul écho à ses paroles.  Gilles secoua à nouveau ses boucles poivre et sel. Il était bien loin le temps où Jeanne amoureuse farfouillait dans sa tignasse en lui disant "j’adore ta chevelure, mon Gilles…"

La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur une valise tenue par un Jules bronzé et resplendissant de contentement.

- Vous partez en vacances également, Jeanne et toi ? se réjouit Jules à la vue des deux valises entourant Gilles.

- Hé, hé !... Ciao ! se contenta de répondre celui-ci en s’engouffrant à son tour dans l’ascenseur.

Comme les cloches de Saint Saturnin sonnaient vingt-deux heures, le poisson rouge s’immobilisa dans le bocal et Gilles disparut à jamais de la ville.

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Pour Mil et une en août 2017 - clic

 

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