Publié le 23 Janvier 2019

source image Internet - à découvrir chez Emma - clic

-----------------------
 -         Tu te souviens Ma’Jeanne du petit Jacques ? Ton ami Jacquot ? Regarde, le voilà près de toi sur la photo prise par Papa dans le verger alors que nous récoltions les pommes. Il te tenait la main en douce, c’était ton amoureux, c’était si évident… Vous aviez quoi ? Huit ans ?
Ah ! Ma’Jeanne je t’enviais un peu à l’époque. Moi c’était Emile qui me faisait rêver mais hélas Emile n’avait pas la vocation pour jouer au prince vraiment charmant et je restais en rade.
Bah ! Les années se sont écoulées, sereines, et à vingt ans à peine j’ai épousé Marcel. Je ne l’ai jamais regretté, non, jamais, c’était un bon mari et un bon père.
 
Soupir !
 
Ma’Jeanne, j’avais vingt ans et toi vingt et un. A ton tour, tu m’enviais… Ton jacquot t’avait délaissée pour courir les bals de la région et pas que les bals d’ailleurs, les jupons aussi.
A propos, tu te souviens de ta jolie robe en vichy mauve ? Attends que je retrouve l’album rouge, c’est celui de cette époque… Là, tu vois comme tu étais jolie ? Tu ressemblais à B.B. avec ce chignon un peu sauvage que je t’avais fait.
 
Soupir !
 
Si jolie et si triste…
Je n’ai pas pu supporter de te voir dépérir seule dans ton coin, Ma’Jeanne, non je n’ai pas pu…
Toutes ces photos, c’est toute notre vie et notre vie devait être belle, tu comprends ? Mmm !
Il faut… oui, il faut que je t’avoue avoir rencontré ton Jacquot un mercredi. Il me suivait dans la salle d’attente du dentiste, tu sais, le vieux docteur Gribeau…
Jacques a ricané quand je lui ai parlé de toi, de ta tristesse… Marie-Jeanne, oui, c’était des mômeries maintenant je suis un homme, je suis passé à autre chose, a-t-il dit en me défiant du regard…
Autre chose ! AUTRE CHOSE !
Ah ! Non Ma’Jeanne tu n’es pas une chose que l’on jette à la poubelle comme un vulgaire bout de papier.
 
Soupir !
 
Sur le chemin du retour, j’ai garé la voiture dans la première allée du petit bois Colin, moteur en marche, prête à surgir sur la route au passage de la Simca de Jacques, histoire de lui faire peur.
Ma’Jeanne, c’est moi qui ai eu une peur bleue quand la Simca a fait une embardée et est allée se fracasser contre un arbre. Une peur lâche qui m’a fait fuir au plus vite.
Comment Ma’Jeanne ai-je pu survivre avec cette culpabilité d’avoir causé la mort de ton Jacquot ? Comment ? Je me pose encore la question aujourd’hui…
 
Soupir !
 
Si seulement une petite étincelle apparaissait dans ton regard vide elle me rassurerait, me dirait que tu me détestes…
 
Soupir !
 
Ma’Jeanne je vais remballer les albums à quoi bon remuer tout cela. Les photos sont des crève-cœur ! Au fond c’est heureux que ton esprit ne s’en rende plus compte.
Viens que je t’embrasse !
-----------------------
 Pour Mil et une sujet 03/2019 - clic

Voir les commentaires

Publié le 13 Janvier 2019

Hugo Simberg - clic

Mots à placer pour Treize à la douzaine :
agile - température - tempérance - percussion - arôme - fuite - rire - absorber - feutré - linceul
- osier - ancillaire et le treizième pour le thème : Noël
----------------------------
Sait-elle qu’un rire innocent et gai génère parfois un pleur ?
Et que le pas feutré d’un tigre n’est pas celui, velouté, d’un chat ?
Sait-elle la température qui soudain escalade les échelons du thermomètre rendant l’atmosphère de la pièce suffocante ?
Sait-elle que tous les Noël ne sont pas paniers d’osier garnis de friandises et de fruits aux arômes exotiques ?
Agile, oui, elle se croit agile, prête à une éventuelle dérobade mais le fauve veille. Lui, la tempérance il ne connaît pas !
Et les tapisseries absorberont les cris et la percussion vaine de ses poings si fragiles sur l’armure de l’ennemi soudain dévoilé.
L’intérimaire qui a accepté cet extra pour arrondir cette fin de mois difficile a-t-elle jamais lu de vieux romans aux relents d’amours ancillaires ? Connait-elle même ce mot désuet ?
C’est Noël, oui, et elle veut encore y croire à la paix universelle. Ce n’est qu’un mauvais rêve, elle va se réveiller, rire de sa peur panique.
Ce corps pesant sur elle, ces mains qui s’insinuent partout, qui soudain lui serrent le cou seraient-ils réels ?
C’est Noël, un homme hagard s’enfuit dans la nuit.
 
Elle, souillée, dégradée, éloigne d’elle dans un dernier sursaut le linceul qui semble déjà l’envelopper et cherche au plus profond de son être une dernière étincelle de vie.
C’est Noël ! Paix aux âmes de bonne volonté !
----------------------------

Voir les commentaires

Publié le 8 Janvier 2019

Jeannot, mon homme, veut toujours jouer au plus malin ! Quoique…

Moi, pragmatique et un rien futée, je lui ai suggéré à la mi-décembre d’attendre janvier et la période des soldes pour acheter enfin le collier de perles qu’il me promet depuis… cinq ans. Oui, cinq ans !

Quatre Noël passés à espérer être exaucée, quatre Noël à me retrouver au final face à un flacon d’un parfum bon marché couplé en prime d’une bonne pinte de désappointement.

Le cinquième allait s’avérer le bon et quand j’ai découvert sous le sapin une enveloppe contenant une photo de perle lovée dans sa coquille j’ai sauté au cou de Jeannot, comblée, enfin !

-         Tu le sais, hein, mon Jeannot que les perles détestent le parfum !

A la lueur de son regard ahuri suite à ma réflexion, j’aurais dû me douter qu’il y avait huître sous roche mais voilà, l’amour rend aveugle.

Quelques jours de patience et je serai parée de nacre. Mentalement j’en admirais déjà l’effet irisé dans le miroir.

-         Euh, m’a demandé Jeannot le soir de la saint Sylvestre, il faut combien de perles autour de ton cou de cygne, ma gazelle ?

(Hum ! Un simple tour de cou ? Avare ! Radin ! Rustre !)

-         Farceur, lui ai-je répondu faussement souriante le laissant dans l’expectative.

Sourire qui a tourné en grimace quand j’ai aperçu les plateaux d’huîtres livrés par un traiteur.

-         J’ai eu peur qu’elles ne soient plus assez fraîches au premier jour des soldes aussi en ai-je commandé pour ce soir. J’espère qu’il y en aura assez pour te confectionner un collier de perles et que cela nous goûtera. Moi, ce sera la première fois que j’en mangerai, a avoué ma moitié.

Sniff ! Sniff ! Euh, ne m’as-tu pas dit que les perles détestent le parfum ?

 -         Jeannot ?

 -         Oui !

 -         Toutes les huîtres ne contiennent pas de perle. Un collier s’achète dans une bijouterie, pas chez l’écailleur…

 -         Ah bon ! Si tu le dis…

 -         Je dis que tu es une perle d’INCULTURE, Jeannot, et je pèse mes mots.

 

Le premier coup de sonnette a coïncidé avec le premier éclat de rire de Jeannot. Moi, je ne voyais rien de risible dans la situation. J’étais désappointée et voici qu’un intrus allait nous surprendre en pleine dispute.

Tout en me glissant un écrin entre les mains mon homme a chuchoté : file te préparer, j’ai invité les voisins pour l’apéro !

En riant de plus belle il a crié : j’arrive ! J’arrive !

Tous les voisins ont applaudi quand je suis apparue dans ma petite robe noire mettant en valeur le lustre des trois rangs de perles fines.

J’ai embrassé Jeannot et lui ai murmuré à l’oreille : tu sais, deux rangs de fausses perles m’auraient suffi.

-         Heu, avec tout l’argent thésaurisé pendant cinq ans et ta patience d’ange, tu ne pouvais prétendre à du toc, toi la fille qui m'accompagne, a t’il chuchoté en me serrant fort tout contre lui.

Puis il a débouché les bouteilles mises au frais à mon insu et a présenté les plateaux d’huitres.

Oui, Jeannot, mon homme, veut toujours jouer au plus malin mais il faut bien l'avouer, c’est une perle rare !

-------------------------------

Pour Mil et une sujet 01/2019 - clic

Voir les commentaires

Publié le 12 Décembre 2018

René Julien - clic et clic

Pédale, Val, pédale !

Hier déjà tu as perçu le regard furax de monsieur Morgan, ton chef de bureau, ne lui offre pas, aujourd’hui, le plaisir de te faire une vraie remontrance.

Cinq minutes de retard à la mairie, la première fois en cinq ans, quel vieux grincheux !

Pédale, Val, ne jette pas un regard vers cette statue implantée sur le trottoir d’en face, ne t’en approche plus.

Oui, elle est belle et pleine de vie au point que tu la connaisses par cœur.

Oui, elle t’attire une fois de plus mais oublie-la, oublie qu’elle s’intitule « Le Revenir »

On revient de tout, Val, même de ses blessures d’enfance.

Ton père est parti un matin et n’est plus jamais rentré à la maison et pourtant tu en as rêvé de ce retour. Tu te voyais sautant au cou de ce revenant, petite fille d’abord puis soudain ado. Comme les années ont passé vite.

Peu importe l’âge que peut avoir maintenant ce père fantôme qui tourmente encore ton esprit de jeune femme.

Peu importe les réponses évasives puis le mutisme de ta mère face à tes questions incessantes.

Peu importe…

Pédale, Val, pédale, ta vie est devant toi.

-----------------------------------

Pour Mil et une - sujet 41/2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 27 Octobre 2018

 

Oli-B - clic et clic

« Non, nous n’avons pas de place pour emporter tes pots de gouache  et tes pinceaux » a marmonné Maman en fermant la porte puis elle s’est tournée vers moi en me tendant la clé.

« Je te la confie » a-t-elle simplement dit.

Depuis, je la garde précieusement au fond de la poche droite de mon pantalon.

C’était quand déjà ? Pas hier, ni le jour avant, ni encore…. je n’en sais plus rien mais, bof, ça n’a pas d’importance la petite maison est tellement loin à présent, j’en arrive même à me demander si elle existe vraiment.

Je suis entouré de mille couleurs et j’adore les couleurs. Elles sont toutes en mouvement autour de moi.

Moi, je les suis et je pense que moi aussi je suis une petite tache colorée et remuante.

Quand j’étais un petit môme de cinq ans, Maman me disait souvent « cesse de bouger tout le temps, tu me donnes le tournis »

Je ne savais pas ce que c’était le tournis…

J’ai presque dix ans à présent et Maman m’encourage à marcher. « Ne me perds pas de vue » me serine-t-elle sans cesse.

Et le tournis, maintenant, je connais !

Parfois, quand la faim fait trop chanter mon ventre, que les muscles de mes jambes sont épuisés et que je ne marche plus droit, je vois une larme qui roule lentement sur la joue de Maman. Alors, je me redresse, j’avale ma salive, c’est déjà ça… et pense bien fort à mes pots de gouache. Grâce à eux, je me fais couleur vive jusqu’au centre de moi-même pour avoir un peu plus chaud et je serre bien fort la clé au fond de ma poche.

J’aimerais deviner si elle ouvrira une porte, là-bas.

Où ? Quand ?

Je ne sais pas !

------------------------------------

Pour Mil et une sujet 36/2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 16 Juillet 2018

Mots à placer pour Treize à la douzaine :

 

guider - farfelu - champ - marionnette - prévenir - gouttière - siège - collation - brique - terne -trousseau - margelle et le 13ème pour le thème : contrainte

----------------

 

Positivons ! Tout va bien, TVB !!!!

Bon, j’avoue, si j’avais le champ libre je m’enfuirais sans prévenir PERSONNE et me laisserais guider par ma bonne étoile.

Positivons, elle finira bien par reluire à nouveau dans mon ciel terne. TVB !

 

L’aide-soignante qui me fourrait à toute allure une maigre collation dans la bouche m’a dit : vous avez un beau teint bistre, on dirait que vous rentrez de vacances.

Je n’en suis pas certain, vu que ma vue est trouble, mais il m’a semblé apercevoir une lueur d’ironie dans ses yeux verts. Avoir bonne mine, c’est déjà ça.

 

Positivons, Jo, ma femme, sera bientôt là, assise sur le siège tout à côté de moi, et je me sentirai mieux.

Pour l’instant, je me sens mou, mou, mou… mou comme un pantin, une marionnette… waouh, jamais tant baillé, moi !... l’effet du produit  distillé par le goutte-à-goutte peut-être ?…

Gouttes ? Gouttière ?

Gouttière infernale, gouttière percée laissant passer l’eau de pluie sur la fenêtre de la cuisine.

Jo, ma Jo, qui râle.

Positivons, TVB, je vais faire les réparations. L’échelle pas assez longue mais rehaussée par quelques briques et me voilà sur le toit avec mon trousseau d’outils et puis le trou noir.

 

J’ai dû dormir un moment, il fait presque nuit à présent. TVB c’est déjà ça de gagné.

Je tenterais bien de me redresser un peu pour soulager mon dos endolori mais le plâtre dans lequel ma jambe gauche est emprise me semble peser une tonne.

 

Jo, ma Jo est là, TVB.

Elle me traite de farfelu, d’insensé. Ah, j’aurais pu me tuer en tombant la face contre la margelle du petit puits. D’ailleurs les jolies fleurs sont écrabouillées comme moi, si, si et puis j’ai trop de fierté pour demander au voisin de me prêter son échelle extensible ou trop radin pour en acheter une. Ai-je pensé à elle, à tous les soucis que mon hospitalisation lui cause ?

 

Quand je tente d’émettre une petite plainte, vu que le poids qui étire mon bras droit m’interdit tous les gestes précis, elle embraye en clamant qu’évidemment je ne supporte aucune contrainte, que ce n’est pas moi qui ai mis au monde nos trois enfants… et gnagnagna…

 

Positivons, TVB, la vie n’est pas terne.

Jo, ma Jo est là et je m’enfuirais bien volontiers avec ELLE !

 

--------------------------------

 

 

Voir les commentaires

Publié le 13 Juillet 2018

Pour Mil et une - jeu de l'été clic

entamer un texte par un incipit de roman -

 

- Ils étaient une vingtaine.

Combien exactement, Jeanne ne le sait pas. Une vingtaine, répète-t-elle en haussant les épaules puis après un silence elle précise : c’est beaucoup ! Ça a débuté comme ça, je cueillais des mûres au pied d’un talus et j’ai entendu des voix au bout du chemin et puis des aboiements. Forts, méchants, les aboiements.

Nouveau silence troublé par les toussotements de l’inspecteur Harry agacé par ce refroidissement qui l’enfièvre en pleine canicule.

- Les chiens couraient dans ma direction, j’étais tétanisée. Ils sont arrivés comme fous à mes côtés, ils me reniflaient, prêts à me mordre.

- Précisez, demande l’inspecteur.

- Préciser ! Préciser ! C’est clair, non ?

- Hum !

- Quand j’ai enfin ressenti la présence d’un homme j’ai dit sans me retourner : feriez bien de tenir vos chiens en laisse.

- Et qu’a répondu l’homme ?

- Pff ! Ce qu’ils disent tous : mon chien est gentil. Et une voix de femme a cru bon d’ajouter : il ne ferait pas de mal à une mouche. Moi, j’ai dit : la loi est la même pour tous, les chiens doivent être tenus en laisse.

Nouveaux toussotements suivis d’une longue inspiration sifflante.

- Feriez bien de vous soigner, monsieur le Commissaire !

- Inspecteur ! Je suis inspecteur ! Mais dites-moi ces chiens ils étaient une vingtaine ou y en avait-il un seul ?

Jeanne se trémousse sur sa chaise, le regard trouble.

- L’homme a dit à la femme : si je la rencontre à nouveau je lui ordonne d’attaquer.

- Donc, il n’y avait qu’un chien !

- Commissaire, le rêve est une seconde vie… les cauchemars aussi.

La tête de l’inspecteur Harry, soutenue par ses deux mains, est cramoisie. Si en plus les témoins me sortent des énigmes, je vais m’écrouler, pense-t-il découragé.

- De la tisane de thym, inspecteur, il n’y a rien de tel !

- Commi… hum, vous m'embrouillez. ! Thym, rêve, cauchemar, c’est bien beau tout cela mais j’ai deux morts sur les bras, moi !

- Trois morts, c’est exact !

- Trois ? L’homme et la femme, le crâne défoncé et retrouvés noyés dans le ruisseau, si, malgré la fièvre, je compte bien, cela fait exactement deux morts... Mais le chien, qu’est-il devenu ?

Longs toussotements.

Silence.

Jeanne, toujours assise sur la chaise, semble transformée en statue. Elle poursuit pourtant un monologue intérieur.

« Le rêve est une seconde vie. Comment me serais-je dépêtrée de mes cauchemars sans lui ? Ils n’avaient qu’à maîtriser leur cabot. Les laisses c’est fait pour les chiens. Mordue, je l’ai été plus qu’un être humain ne peut le supporter… le camp, la faim, les ordres… les ordres à la vingtaine de chiens… attaque… m’attaquer, moi ? N’avait pas à se risquer à dire ces mots… plus jamais, je ne me laisserai attaquer… l’ont cherché ces gens et ce sale clebs aussi… la colère ça décuple la force, je le sais, elle m’a souvent sauvée… le chien je l’ai assommé alors qu’il s’apprêtait à rejoindre ses maîtres, ma canne au bout ferré n’a pas plus que moi pardonné. Lui, de rage, il a trébuché et sa tête a heurté une grosse pierre, elle penchée sur lui a été une proie facile... comment s’étaient-ils trouvés un jour sur mon chemin ? Je ne me suis pas posé la question, quelle importance… Le chien, je l’ai enterré dans le sous-bois, le couple traîné jusqu’au ruisseau pour qu’ils se purifient la bouche de leurs paroles... On ne sait rien de soi. C’est le contraire, on croit s’habituer à soi. A présent, je suis à égalité avec mes tortionnaires, jamais je n’aurais cru y parvenir un jour… »

L’inspecteur Harry contemple cette femme étrange. Son flair lui dit qu’il est vain de l’interroger plus longuement. Que pourrait-elle encore lui dire mis à part sa peur viscérale des chiens. Bah, comme tant d’autres…

- Je suivrai vos conseils, je prendrai une tisane de thym, promis, dit-il en serrant la main de Jeanne.

C’était oublier le rhume à présent bien installé et faussant tous ses repaires de fin limier.

--------------------------------

Voir les commentaires

Publié le 5 Juillet 2018

Il fait bon, le jardin est en fête, l'eau de la mare fait le bonheur des oiseaux et des tritons.

Et moi ? Moi, j'écris une petite scène sans prétention...

Je suis outré, vexé, dépité par un tel manque de considération !

Moi si conciliant, toujours le pied alerte, prêt à rendre service je suis ignoré comme un simple valet.

Ne formions-nous un trio des plus efficaces ?

Et l’autre là, qui se fait pincer à qui mieux-mieux, je l’entends pourtant qu’elle couine d’inconfort.

Si Madame, vous couinez à briser une corde !

Comment, moi, jaloux de votre âme ? Que pensez-vous, je possède une âme moi aussi et sachez qu’elle ressent les vagues nauséeuses qui me traversent le corps.

Je me suis plié à tous les caprices, fais le siège de tous les trottoirs et cours de la ville, j’ai occulté les rhumatismes qui m’assaillent par temps humides, fais fi de mes articulations atteintes par la sécheresse environnante mais là, c’en est trop, je suis dégoûté.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Oser poser ton joli postérieur sur une vulgaire pierre foulée par le premier venu, sniff ! Maëlle, quelle décadence !

Je suis révolté, je pense que je ne me remettrai jamais d’un tel affront public.

Mais… mais… qui m’envahit aussi impudemment ? Qui ose s’assoir sur moi ?

Une Mémé bien fatiguée me semble-t-il… pfff !

Holà, la bougresse, c’est qu’elle a le rythme et la cadence dans la peau elle aussi.

Allons, foi de trépied, il ne sera pas dit que je ne suis pas maître de la situation.

Allez-y ! Chante Maëlle, vibre guitare !

A moi la scène !

A nous ? Oui, bof !

..............................

Mil et une sujet 24/2018 - photo  Steve McCurry clic et clic

Voir les commentaires

Publié le 4 Juillet 2018

Arthur en est convaincu, l’été n’est plus ce qu’il était. Enfin, plus vraiment. Plus à certaines heures quand les touristes envahissent sans vergogne les ruelles de la vieille ville.
Et que je te bouscule sans prendre la peine de m’excuser au point de se sentir transparent, et que je tente de pénétrer dans un vestibule, smartphone ou appareil photo brandi, et que je cueille une fleur ou deux dans une jardinière tout en zieutant effrontément par la fenêtre…
 
Et que, et que… la liste des griefs est longue et tout en faisant sa petite promenade digestive, Arthur l’égrène en marmonnant. Seuls les cris des hirondelles lui font lever la tête vers le ciel bleu, un sourire aux lèvres.
 
Allons mon vieux secoue-toi, la vie est belle ! Tu ne vas pas devenir un vieux grincheux et puis regarde autour de toi, tout ce brassage de personnes venant parfois de loin est enrichissant que diable !
Arthur a cette bonne vieille habitude de se réprimander de temps en temps. S’il ne le faisait pas qui le ferait ?
 
Farewell Angelina
The bells of the crown
Are being stolen by bandits
I must follow the sound
The triangle tingles
And the trumpet play slow
Farewell Angelina
The sky is on fire
And I must go.
 
La voix est claire et plaisante comme l’est la chanteuse installée à même le trottoir de la venelle mais dans le cœur d’Arthur une tempête soudaine mène la sarabande au point que le vieil homme, chancelant, doit prendre appui contre le mur le plus proche.
 
Farewell Angelina
Cette douleur inattendue… Angelina… il y a si longtemps pourtant…
 
Arthur écoute de tout son être cette chanson si parlante pour lui et peu à peu les battements de son cœur se régulent, il peut enfin respirer plus librement et même fredonner le dernier couplet.
 
The machine guns are roaring
The puppets heave rocks
The fiends nail time bombs
To the hands of the clocks
Call me any name you like
I will never deny it
Farewell Angelina
The sky is erupting
I must go where it's quiet.
 
Des applaudissements se font entendre alors que la chanteuse, chapeau tendu, salue, souriante, son public. Quelques pièces de monnaie rejoignent le couvre-chef à présent posé sur le sol et un autre accord de guitare happe les oreilles des badauds.
Arthur toujours adossé au mur reste cependant plongé dans ses souvenirs.
Bob Dylan, Joan Baez.
Farewell Angelina
 
Angelina !
Angelina, sa belle amoureuse au père si sévère... son mariage forcé avec un homme jaloux et brutal… comment lutter ?
Farewell Angelina...
Et toujours cette chanson entendue ici ou là au fil des années et qui lui met le cœur à l’envers.
 
Angelina ! Où est-elle à présent ?
Lors de leur dernier et lointain contact clandestin, elle lui avait fait promettre de vivre une belle vie malgré tout.
 
Arthur s’ébroue, oui, la vie est belle comme l’été qui resplendit.
 

Mil et une sujet 24/2018 - clic

photo  Steve McCurry clic et clic

Voir les commentaires

Publié le 29 Juin 2018

Peinture Emmabarbouille - clic

---------------------------

La tête relevée, le regard fixe Mathilda ne perd rien de la cérémonie.

Rien ! Ni les coups de coude, ni les chuchotements, les épaules se soulevant, impuissantes, ou les hochements d’entendement.

- T’a vu ?

- Qui c’est ?

- Et ce chapeau… des cerises, on aura tout vu !

- Mais que vient faire ici cette étrangère aux cheveux rouges ?

- La Berthe n’avait plus de famille, dit avec certitude un vieil homme pensant murmurer mais trahi par sa voix grave et son ouïe défaillante.

Le curé, intrigué par ces remous inhabituels, interrompt son laïus et d’un signe invite la femme inconnue à se rapprocher du petit groupe de villageois soudain figés.

En quelques pas, Mathilda s’exécute accompagnée par le chant moqueur d’un merle peu impressionné par ces humains qui pour quelques instants encore hantent son territoire habituellement si calme.

… en dernier hommage à notre amie Berthe, je vous invite à vous recueillir à tour de rôle devant sa dépouille… poursuit le prêtre.

Déjà les pressés, ceux dont les champs n’attendent pas ou ont réglé le four pour la cuisson du déjeuner, s’avancent mais Mathilda, impérieuse les devance et se présente la première devant le cercueil.

Son buste s’incline lentement tandis que d’une main elle saisit son chapeau et le dépose bien en vue sur la bière. L’autre main caresse doucement le bois blond puis sa voix émue entonne le dernier couplet de la chanson préférée de sa grand-mère, celle que celle-ci lui chantait quand elle était enfant :

J'aimerai toujours le temps des cerises,

C'est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !

Et dame Fortune, en m'étant offerte
Ne saurait jamais calmer ma douleur...

J'aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au c
oeur !

La vieille Ida, celle de la ferme du haut, tente de l’accompagner en chevrotant mais un "tais-toi Ida" sec et cassant comme du verre la fait taire illico, éberluée.

- C’est Mathilda ! dit une voix penaude.

Oui, c’est moi, Mathilda ! Mathilda que vos ragots et votre étroitesse d’esprit n’ont eu de cesse de dénigrer auprès de Berthe depuis l’enfance, celle qui à l’adolescence a fui vers la ville. Mathilda la bâtarde, la fille de celle qui était à vos yeux une dévergondée et qui a péri dans un mystérieux accident après m’avoir mise au monde.

Le cœur soudain plus léger, Mathilda toise brièvement l’assistance, s’en détourne dédaigneuse et accompagnée des trilles joyeuses des oiseaux quitte le cimetière et s’en repart vers la VIE, SA VIE.

---------------------------

Pour Mil et une sujet 23/2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 21 Juin 2018

 

Cette semaine, Mil et une nous proposait d'écrire en nous inspirant d'une peinture de Norman Rockwell intitulée "Rumeurs". Comme  j'apprécie beaucoup l'univers rendu par ce peintre - gaieté, joie de vivre, ambiance familiale ou facéties - je me suis amusée, avec l'aide technique d'Emma, à légender l'oeuvre présentée.

 

Voici le résultat...

clic

Voir les commentaires

Publié le 12 Juin 2018

           

image Kohei Nawa clic et clic

 

           - Non, je ne redescendrai pas ! N’insistez pas !

(Ici, j’ai enfin la paix. Fini d’être la plus jolie, la plus intelligente, celle qui parle aisément cinq langues, sait réciter par cœur les poésies d’antan, connait les auteurs actuels, a un avis pertinent sur l’actualité politique ou sociale, celle dont les peintures sont accrochées avec vénération aux murs du salon, dont les plats fins embaument la cuisine et régalent les invités… ouf ! je reprends mon souffle… terminé de plaire au vieux tonton Jules, d’endurer avec le sourire les ragots de tata Jeanne, de veiller sans cesse à ma ligne, d’être une sportive accomplie au point de battre des records dignes des J.O., d’écouter religieusement de la musique classique !!! Fini, ni, ni  qu’on se le dise là-dessous !)

- Non, je ne redescendrai pas ! A force d'être toujours portée aux nues, j’ai pris goût à vos nuages.  J’y suis et j’y reste, n’insistez pas !

(Et je vais m’offrir un tatouage sur l’épaule, me teindre les cheveux en vert, m’offrir un éclair au chocolat, un ? non, DIX choux à la crème chantilly, écouter du rap et puis du métal, ingurgiter une pizza bien grasse, je vais draguer Jupiter, Apollon et pourquoi pas Eros lui-même, m’inscrire à un site de rencontre chez les anges ou réserver un trek en enfer, m’habiller suivant mon goût et ne plus ressembler à une princesse le jour de son premier bal, tout plutôt que de répondre aux critères et à la bienséance dont ma famille me gave depuis l’enfance)

              - Non, je ne redescendrai pas ! N’insistez pas !

-------------------------

Sujet  21/2018 chez Mil et une - clic

Voir les commentaires

Publié le 21 Mai 2018

Avogado6 clic et clic

 

             - C’est plié, elle m’a envoyé voir ailleurs si elle n’y est pas !

Je finirai par croire que mon atelier s’appelle "Ailleurs" Mumm… pourquoi pas… je vais envisager la chose… "Ailleurs à cœur perdu" ce ne serait pas mal…

Mon esprit vagabonde, celui de Théo se focalise sur son énième déboire amoureux… Pourquoi faut-il qu’il s’amourache de Lolita superficielles et inconsistantes ? Mes mains plient la matière, lui donnent des allures étranges. Celles de Théo sont crispées, tout son corps semble avachi et seul un œil triste se glisse entre les mèches de cheveux blonds.

- Ne reste pas collé à ce mur, assieds-toi près de moi !

Théo soupire, lève furtivement ses épaules ployées et s’installe à mes côtés. Une fois de plus je ressens une chaleur en moi à la vue de sa petite gueule d’ange, de son visage en forme de cœur… un visage fait pour sourire, non pour s’effacer à la vie comme souvent il le fait.

Théo soupire une fois de plus en observant mes gestes. A quoi lui serviraient mes questions ? A lui faire ressentir un peu plus la morsure des chaînes avec lesquelles il cadenasse son cœur ?

Sur un coin de table deux tas de feuilles de papier noir et de descriptifs sont posés. Cette après-midi sera consacrée aux enfants du quartier. Ces bouts de chou adorent créer de leurs mains et les origamis que je leur propose les enchantent.

En silence, je lui tends une feuille et un descriptif. Pas de réaction aussi je les dépose devant lui et continue mon pliage. Va-t-il mordre à l’hameçon ?

- Qu’est-ce que c’est ?

- Batman ! Ce n’est pas simple mais les petits ont déjà un bon niveau et il faut sans cesse que je me renouvelle.

Quand la lampe que je réalise est enfin terminée elle donne à Batman installé par-dessus des allures de vieux duc affublé d’une fraise élégante. Sourires échangés.

Théo rejette en arrière son longue mèche et redresse enfin son corps d’ado qui a grandi trop vite. Moi, à mon habitude, je tourne entre mes doigts une boucle chenue et étire mon dos endolori.

- Tout à l’heure je serai libre, Mamy. Si tu veux, je pourrais te donner un coup de main pour aider les mômes.

- D’accord !... Que dirais-tu si je donnais un nom à mon antre ? "Ailleurs à cœur perdu" par exemple…

Théo me fixe, ne sait s’il doit se renfrogner ou adhérer à mon idée.

Cependant l’amour de la vie est le plus fort et un énorme éclat de rire ponctue l’embrassade dont enfin il me gratifie.

La vie n’est pas simple, ni la sienne, ni la mienne, mais être un repère pour mon petit-fils me semble soudain merveilleux…

-------------

Pour Mil et une - clic

Voir les commentaires

Publié le 9 Mai 2018

 

14 heures bougies allumées

tranquille en pyjama

Bach en sourdine

arômes de café

doux ronrons du chat

 

Au doigt la bague à Lou ma Lou

porte-bonheur 

Bonheur

 

Studio orchestre à cordes

bouffées de nostalgie

Papa est là je le ressens

émotion tout s'accorde

profonde mélancolie

 

Au doigt la bague à Lou ma Lou

porte-bonheur 

Bonheur

 

Coiffure pose maquillage

séance photos c'est trop 

télés interviews

il est loin le rivage

c'est le temps de la promo

 

Au doigt la bague à Lou ma Lou

porte-bonheur 

Bonheur

 

Amitiés duos fou-rire

l’œil de cocker s'allume

Paris m'accueille

valise de bouquins à lire

le taxi roule sur le bitume

 

Au doigt la bague à Lou ma Lou

porte-bonheur

 Bonheur

 

Dans la loge je me prépare

plus moyen de reculer

au doigt j'enfile la bague

sur scène déjà ça démarre

le public va me porter

 

Au doigt la bague à Lou ma Lou

porte-bonheur 

Bonheur

 

 

°°°°°°°°°°°°

 

D’après l’émission « La passion selon Maurane »  de la RTBF

à revoir ici ou sur La Trois (RTBF) le 11 mai à 22h41'

 

Voir les commentaires

Publié le 28 Mars 2018

Et voilà, c’est reparti pour un tour !

J’en arrive à prendre en grippe ces dîners de famille auxquels ma mère nous convie deux ou trois fois par année.

- Tu exagères, me dit Lou, ma compagne, ta mère est une fine cuisinière et ton père un amateur de vin professionnel.

Je ne relève pas l’amateur professionnel, après tout à chacun ses marottes langagières. Ma sœur et sa tarte Tintin (régression ou besoin de se rendre intéressante aux yeux de notre mère, spécialiste de la tatin au dessert ?), la tante Marie et son indétrônable boîte de praniles de chez Faure (serait-elle dyslexique ?) mais le summum c’est l’oncle Jacques qui le détient avec son "Sous les pavés, la plage. Moi, mon p’tit, j’ai fait mai 68" odyssée qu’il réussit à placer à n’importe quel bout de phrase. Quand j’étais môme cela passait à la rigueur les barricades et les pavés descellés, les CRS et les fumigènes…

Mais là, j’avoue, je sature !

Pour compléter le tableau il ne cesse de dénigrer tout ce  que j’entreprends : "Ah ! bon, tu vis de tes gribouillages à présent. Et ce n’est pas interdit de barbouiller sur les murs"

Il n’a aucun goût artistique et il entend m’imposer ses vues, limitées, il faut bien l’avouer.

Que je gagne confortablement ma vie, que je sois un artiste reconnu dans le milieu du graff ne peut effleurer son esprit borné, que l’on me paie pour réaliser une fresque géante ou décorer une entrée de musée lui fait dire que de son temps on proclamait "l’art c’est de la merde"

Il vient de remettre le sujet autour de la table. Mon père, comme par hasard, a quitté l’assemblée pour aller chercher une bouteille de derrière les fagots. Quels fagots ? Je n’en ai jamais vu à la maison et ma mère a levé les yeux au ciel. Pour une fois ne pourrait-elle pas fermer le bec de son frère et prendre ma défense ?

Lou m’a envoyé son coude dans les côtes pour que je contienne ma rage ce que j’ai réussi à faire non sans glisser innocemment "bah ! sous les pavés la plage et puis il est interdit d’interdire" ce qui a eu pour effet de faire hocher la tête à oncle Jacques et à lui faire perdre le fil de sa diatribe.

Petite vengeance, avant-goût de ce qui l’attend quand il se retrouvera devant son garage.

Jacques, Marcel de son deuxième prénom, y découvrira tracé de ma plus belle bombe "J’emmerde mon oncle Marcel" 

Se doutera-t-il que le tag lui est destiné ?

Allez, je reprendrais volontiers un bon morceau de tarte tatin, moi !

Santé, Jacques-Marcel !  

 

Pour Mil et une mars 2018 - clic 

Voir les commentaires

Publié le 23 Mars 2018

Big Bear Photos - clic

De temps en temps, la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair… (A. Daudet)

Comme Blanquette, je scrute le ciel mais en vain. Là-haut, pas la moindre étoile ne fait un pas de deux. Seuls de lourds nuages piègent les lueurs émanant de la ville endormie. Mais une ville est-elle jamais complètement endormie ?

Etendue dans le divan, je tente de somnoler un instant. Peine perdue.

Une fois de plus je me focalise sur la petite chèvre en souffrance dans la montagne.

Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube !...

Et moi, vais-je résister jusque-là ?

La fenêtre me fait face à nouveau. J’y pose ma tête endolorie et le froid de la vitre l’anesthésie un court instant. Mes yeux se ferment, ne plus penser.

De la cour en contre-bas me parvient un miaulement rauque ; en réponse un aboiement se fait entendre sur la droite. Biquette et moi ne sommes pas seules à veiller…

L’une après l’autre les étoiles s’éteignirent…

Ici et là des lumières commencent à animer les croisées.

Une lueur pâle parut dans l’horizon…

Et tandis que les lève-tôt baillent en s’étirant une dernière fois, la neige doucement, patiemment,  recouvre les toits d’une fine pellicule blanche.

Le chant d’un coq monta d’une métairie !

De la chambre à coucher se faufile jusqu’à moi  la voix de Cabrel. Il y a pire pour sortir Thomas du lit...

Enfin ! dit la pauvre bête.

Pas fâchée d’être parvenue au matin et de mieux retrouver le décor familier.

Blanquette redoubla de coups de corne, le loup de coups de dents…

Pourtant dans ma bouche la douleur redouble d’intensité. Vite avaler deux cachets d’antidouleur. Je n’ai décidément pas des crocs de loup. Mais lui, le vilain, a-t-il jamais connu cette rage là ? A-t-il jamais été victime de douloureuses insomnies ?

…et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang...

Je suis prise d’un vertige et n’ai qu’une envie, me coucher, même là au sol…

- Hé, mais tu titubes ! Tu as bu ?

La voix de M. Seguin me parvient ouatée, lointaine, si lointaine…

Blanchette ! Alphonse Dau… Daudet !

Je suis parvenue à murmurer les noms de ceux qui m’ont permis de tenir jusqu’à l’aube mais Thomas ne semble pas capter ce que je dis.

Quand il se trouve enfin face à moi, je saisis la stupeur sur son visage.

- Ben, ma pauvre ! Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ? Je n’ai jamais vu une joue aussi enflée.

- …voulais tenir jusqu’à l’aube… Blan…chette !

- Plus un mot, je t’emmène aux urgences.

A-t-il seulement vu qu’il avait neigé sur la ville ?

Et avant de sombrer, j’ai une dernière pensée pour Alphonse Daudet et pour mademoiselle Jeanne, ma première institutrice.

------------------------------

 

Pour Mil et une - mars 2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 14 Mars 2018

Edward Hopper - clic et clic

…c’est la chienne, Linnie, qui m’a repéré la première. Un homme jouait à lui jeter une balle mais elle s’est détournée, oreilles pointées dans ma direction.

Qui était cet homme ? Que faisait-il là, près de Mary ?

L’homme s’est levé, a marché vers moi dans l’herbe jaunie par la sécheresse.

"Vous cherchez quelqu’un ?"

Derrière lui Mary, les bras croisés sur son abdomen, me faisait l’effet d’une statue de sel. Son ventre proéminent, ses beaux seins gonflés, son teint plus pâle que jamais. Ma Mary !

Malgré la douleur qui me fendait le cœur j’ai réussi à bredouiller "du travail… je cherche du travail"

L’homme a ricané "y a pas de travail ! Pas d’récolte ! Le soleil a tout brûlé sur place, passez votre chemin"

Mary a semblé s’ébrouer et d’un ton dur que je ne lui connaissais pas a dit "il se fait tard, offrons-lui le couvert et un coin de grange, il t’aidera demain à atteler le cheval et à remplir la citerne d’eau à la pompe du village"

L’homme a haussé les épaules tout en rappelant le chien qui se frottait à mes jambes en quémandant une caresse.

A la nuit tombée, Mary m’a apporté un plat de haricots rouges avec une tranche de lard et quelques fruits.

Sans me regarder elle a dit "pourquoi es-tu revenu… pourquoi si tard ?… je t’ai tant attendu... pour demain après-midi, je veux que tu sois parti, Greg, définitivement, parti ! Je ne pouvais plus attendre, il y avait urgence… comment gérer seule la ferme après la mort de mon père ? Tu m’as bien laissé tomber… tu m’avais tant promis… Benny n’est pas un mauvais bougre, c’est un mari comme un autre, un père qui sera présent, lui !"

Ses paroles m’ont fait l’effet d’un fer rouge sur la peau. Douloureuses, tellement douloureuses.

A quoi bon m’expliquer à présent, dire mon arrestation, les mois d’incarcération pour une faute que je n’avais pas commise alors que tout à mon désir de la rejoindre je mettais un terme à mon entreprise. Les vexations, les lettres écrites pour elle et que l’on déchirait devant moi en ricanant, les coups et brimades, l’angoisse de la savoir seule là-bas, si loin… à quoi bon ?

A quoi bon les haricots rouges ? Ils ont refroidis, seuls dans leur coin.

…les éclairs de chaleur dans la nuit, le tonnerre qui gronde, la foudre enflammant un sapin sec, la maison à son tour prenant feu comme une torche… Mary !

J’ai vu Mary inanimée dans les bras brûlés de Benny. Il l’a déposée à l’abri et malgré le danger est retourné dans la maison en criant "Linnie, Linnie…"

Ni Linnie, la douce chienne, ni Benny ne sont jamais réapparus.

A mon tour, j’ai saisi Mary dans mes bras et me suis enfui loin de ce brasier… de cet enfer… Le puit était tari où aurais-je pu trouver de l’eau ?

Tu es né cette nuit-là, John, mais pour Mary, ta mère, il était trop tard, elle a succombé quelques heures après ta naissance.

…de loin, j’ai suivi ton parcours, veillé sur toi…  c’est une promesse que j’avais faite à Mary devant témoin juste avant qu’elle ne meure…

Avec l’accord du juge, j’ai fait fructifier les terres qui te revenaient de droit…

---

"John est adulte aujourd’hui ! Regarde comme il est fort et beau !

Va, mon chien, tu es son cadeau.

Va, raconte-lui mon histoire, son histoire…"

---------------------------

Pour Mil et une - sujet 10/2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 7 Mars 2018

Photo de  REGHAL  clic et clic

 

Quand, pris par une émotion inexpliquée, il était tombé sous le charme du moulin désaffecté et de la petite maison de meunier à peine mieux préservée, Jeff se sentit aux anges.

"Avec un peu d’huile de coude, nous en ferons un nid douillet et pourquoi pas une halte de promenade, la terrasse est si spacieuse, nous pourrions y servir des rafraîchissements et quelques gourmandises"

Joséphine, heureuse de le voir si enthousiaste, avait opiné quoique en son for intérieur elle s’avouait en pénurie d’huile de coude. Mais basta, la vie n’était-elle pas belle ?

Carpe Diem !

Sitôt l’achat conclu, Jeff s’était mis au travail : truelle, ciment, enduit, et un mélange par ici, et un mélange par-là… Il consacrait tout son temps au moulin tentant d’y conserver l’esprit initial dans le secret espoir d’y créer un petit musée.  

Joséphine plus réaliste avait demandé l’aide d’un spécialiste pour aménager dans la maison un coin cuisine-douche-réserve ainsi qu’un petit salon-chambre-à-coucher-vestiaire.

Le mini nid, rustique mais malgré tout confortable, terminé, Joséphine s’installa au soleil avec moult crèmes de protection solaire, son vernis à ongle et un bon roman.

Carpe diem !

Plus le temps passait, plus dans le moulin Jeff pestait. Ce qu’il avait fait la veille se révélait souvent bancal et il lui fallait revoir ses plans.

"Jo, appelait-il d’une voix forte, il me faudrait du carrelage, autant de bois, du mortier hydrofuge, etc…"

De mauvaise grâce, elle se mettait au volant de la voiture à laquelle était attelée une remorque brinquebalante. Trente kilomètres aller, trente kilomètres retour, ce n’était pas une sinécure pour trouver un magasin de bricolage dans la région.

Au retour, Jeff s’énervait : "je t’avais demandé des vis de 10 mm, pas de 15 !"

Excédée par les reproches récurrents, Joséphine lui suggéra d’engager un homme de métier pour finaliser les travaux.

"Voyons, Jo, tu me prends pour un incapable ? Non, non, je veux faire tout cela de mes mains"

Tout en se lamentant mentalement sur l’état miséreux de ses ongles manucurés soumis au rude contact des matériaux et tracassée par les mois d’hiver qui tôt au tard lui compliqueraient un peu plus la vie, Joséphine fourbissait sa vengeance.

Quand le soir arrivait et que Jeff s’attablait elle lui servait invariablement de la baguette rassise, un morceau de fromage dur et quelques fruits blets.

Sous le regard noir de son compagnon elle lançait innocemment "désolée, mon pauvre chéri, je ne sais être au four et me consacrer au moulin" Puis cajoleuse elle poursuivait d’un "le grand air nous fait un bien fou, nous retrouvons la ligne de nos vingt ans. Tu t’en souviens ?"

Jeff n’en pouvait plus. Son pantalon flottait autour de sa taille à un point tel qu’il avait dû se résoudre à le maintenir à l’aide d’une paire de bretelles ajustables mais fantaisie de Joséphine.

A quoi je ressemble là ? Et si des promeneurs passaient dans le chemin en contre-bas ? Et si l’un d’eux faisait une photo ? Ridicule, je suis ridicule et en plus j’ai la dalle. Ah ! Une bonne côte de bœuf, j’en rêve !

Trois mois à ce régime d’ascète et notre homme était mûr pour le retour en ville.

"Tu sais, dit-il à Jo, j’ai pensé à toi. La vie à la campagne est trop rude, tu mérites mieux. Revendons le moulin et la maison"

Et Joséphine, heureuse, a retrouvé la ville.

Pourtant, certains soirs, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle a été grugée. Et tout en touillant dans une sauce ou en sortant un rôti du four, elle ressent une douleur aux bras.

Oui, elle est toujours en pénurie de cette fameuse huile de coude.

---------------------------

Pour Mil et une - sujet 09/2018 - clic

Voir les commentaires

Publié le 1 Mars 2018

Illustration Anne Anderson - clic 

----------------

 

Mots à placer pour Treize à la douzaine :

Cavalcade - touche - hiver - lanière - sempiternel - écorce - échelle - frite - chêne -anaphore - passoire - verre -- thème : blanc

----------------

- Et de cette pile-là, madame Chêne, j’en fais quoi ?

Ces draps, je les avais achetés lors d’une quinzaine du blanc…

- Ah ! en hiver alors, madame Chêne ! Vous étiez partie au ski ?

- M’oui, c’était en hiver la quinzaine du blanc… quant au ski, Laëtitia… à l’époque…

- Moi aussi j’aimerais partir skier, déguster une raclette au soleil face à la montagne et puis j’ai vu sur le Web des cornets à frite pour fondue savoyarde, le top !

- M’oui, je vois cela d’ici, je le vois très bien au vu de votre mine resplendissante.

- Ah, vous avez remarqué, madame Chêne… j’ai fait une touche…

- Une touche ? Oh, vous voulez dire que c’est la cavalcade dans votre  cœur, Laëtitia ?

- Cavale-quade ? Heu, non, mais c’est comme si des chevaux couraient au galop dans ma poitrine quand je vois Brice.

- Brice ! Toute la Bretagne à vos pieds, Laëtitia.

- Ben non, quelle idée, il est pas breton, Brice !

- Soit, soit… Avant de continuer, voulez-vous partager avec moi une tisane à l’écorce d’orange avec quelques lanières de zeste de citron ? Il faut juste que je retourne à la cuisine, j’ai oublié la passoire.

- Juste un verre alors, madame Chêne, parce que moi les épluchures j’aime pas trop, je préfère les orangettes au bon chocolat.

- M’oui, je vois cela…

- …pourquoi vous dites "M’oui, je vois cela" alors qu’il n’y a pas d’orangettes ici ?

- Vous avez raison Laëtitia. Ce que je radote est bien loin de l’anaphore.

- Alors, là, madame Chêne, je ne sais pas qui est Anna Fore. Une de vos amies peut-être ? Mais c’est pas tout ça, je m’en vais chercher la passoire et l’échelle pour arriver à cette pile de draps.

- L’escabeau, Laëtitia, l’escabeau suffira… Vous pourrez les déposer dans cette caisse à ma droite. Je les ai assez vu ces sempiternels draps blancs qui traînent là-haut depuis des lustres, je vais m’en défaire. Moi, ce que j’aime ce sont les couleurs chaudes, les tissus soyeux.

- Je suis bien d’accord avec vous, madame Chêne, la collection de draps de ce San Peter Neil n’est pas très gaie. Elle n’a pas dû avoir beaucoup de succès. Et vous me dites qu’on lui consacrait une quinzaine spéciale ? Drôle d’idée. Et on les mettait sur les lustres ? Bizarre, vraiment !

- Oui, Laëtitia, la vie est parfois bizarre. Voyez, si je ne m’étais pas cassé la jambe et si je n’étais pas immobilisée dans cette chaise roulante nous n’aurions jamais fait connaissance.

- Alors là c’est bien vrai, j’adore venir vous aider, madame Chêne, et puis j’en apprends tellement à votre contact.

- Moi aussi, Laëtitia, si vous saviez… vous êtes un vrai petit rayon de soleil.

- Oh ! madame Chêne, c’est exactement ce que me dit Brice ! Dites, vous ne m’en voulez pas de vous appeler Chêne ? Oak, c’était le prénom américain de mon ex… et il n’était pas tendre, lui.

------------------------------

Voir les commentaires

Publié le 27 Février 2018

Il ne sait pas, Greg, non il ne sait pas.

D’ailleurs c’est ce que sa mère lui a toujours dit : tu ne sais rien, étudie ! 

Etudier, Greg a toujours détesté ça. Lui ce qu’il aimait faire après les cours c’était feuilleter une B.D. de Batman ou jouer à Super Mario sur sa console.

MA CONSOLE, disait-il, en appuyant sur les mots comme pour défier sa mère.

Elle, excédée, haussait les épaules sans ressentir la consolation distillée par ce mot dans le cœur de l’enfant à qui elle ne parlait jamais de son père.

Tes super-héros ce n’est que du vent, ce n’est pas eux qui te feront grandir, lançait-elle en point final.

Grandir, Greg l’a fait et ses super-héros ont vieilli.

Sa mère est partie un matin de printemps vivre dans le sud à la recherche d’un oubli, d’une autre vie. Depuis combien de temps ne l’a-t-il plus vue ? A l’heure du numérique elle semble à des années-lumière de lui.

Nouvelle fuite, a conclu Greg, apparemment trop indifférent pour s’en tracasser ou trop accaparé par son métier de sapeur-pompier pour lequel il s’investit à fond, grimpant peu à peu dans la hiérarchie.

Fonder une famille, créer un cocon ? Non, il n’en ressent pas le besoin. A quoi bon ?

Ce n’est pas un être insensible ou égoïste pour autant. Hier, interpellé par un appel aux dons de sang en ces temps de grandes vacances, il n’a pas hésité une seule seconde à se porter, une fois de plus, volontaire.

Mais il ne sait pas, Greg, que dans un hôpital, là-bas, une vieille dame a une pensée émue pour le donneur anonyme à qui elle doit la vie sauve.

Qui que ce soit, c’est pour moi un super héros, a-t-elle chuchoté à l’infirmière.

Non, Greg ne sait pas et ne saura jamais qu’un peu de son sang a rendu vie à sa propre mère…

 

Pour Mil et une sujet 08/2018 - clic 

 source image -  clic

----------------------------

Voir les commentaires