Histoire d'une petite chèvre...
Publié le 23 Mars 2018
Big Bear Photos - clic
De temps en temps, la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair… (A. Daudet)
Comme Blanquette, je scrute le ciel mais en vain. Là-haut, pas la moindre étoile ne fait un pas de deux. Seuls de lourds nuages piègent les lueurs émanant de la ville endormie. Mais une ville est-elle jamais complètement endormie ?
Etendue dans le divan, je tente de somnoler un instant. Peine perdue.
Une fois de plus je me focalise sur la petite chèvre en souffrance dans la montagne.
Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube !...
Et moi, vais-je résister jusque-là ?
La fenêtre me fait face à nouveau. J’y pose ma tête endolorie et le froid de la vitre l’anesthésie un court instant. Mes yeux se ferment, ne plus penser.
De la cour en contre-bas me parvient un miaulement rauque ; en réponse un aboiement se fait entendre sur la droite. Biquette et moi ne sommes pas seules à veiller…
L’une après l’autre les étoiles s’éteignirent…
Ici et là des lumières commencent à animer les croisées.
Une lueur pâle parut dans l’horizon…
Et tandis que les lève-tôt baillent en s’étirant une dernière fois, la neige doucement, patiemment, recouvre les toits d’une fine pellicule blanche.
Le chant d’un coq monta d’une métairie !
De la chambre à coucher se faufile jusqu’à moi la voix de Cabrel. Il y a pire pour sortir Thomas du lit...
Enfin ! dit la pauvre bête.
Pas fâchée d’être parvenue au matin et de mieux retrouver le décor familier.
Blanquette redoubla de coups de corne, le loup de coups de dents…
Pourtant dans ma bouche la douleur redouble d’intensité. Vite avaler deux cachets d’antidouleur. Je n’ai décidément pas des crocs de loup. Mais lui, le vilain, a-t-il jamais connu cette rage là ? A-t-il jamais été victime de douloureuses insomnies ?
…et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang...
Je suis prise d’un vertige et n’ai qu’une envie, me coucher, même là au sol…
- Hé, mais tu titubes ! Tu as bu ?
La voix de M. Seguin me parvient ouatée, lointaine, si lointaine…
- Blanchette ! Alphonse Dau… Daudet !
Je suis parvenue à murmurer les noms de ceux qui m’ont permis de tenir jusqu’à l’aube mais Thomas ne semble pas capter ce que je dis.
Quand il se trouve enfin face à moi, je saisis la stupeur sur son visage.
- Ben, ma pauvre ! Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ? Je n’ai jamais vu une joue aussi enflée.
- …voulais tenir jusqu’à l’aube… Blan…chette !
- Plus un mot, je t’emmène aux urgences.
A-t-il seulement vu qu’il avait neigé sur la ville ?
Et avant de sombrer, j’ai une dernière pensée pour Alphonse Daudet et pour mademoiselle Jeanne, ma première institutrice.
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Pour Mil et une - mars 2018 - clic