Publié le 26 Décembre 2013

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Lorsque nous étions réunis à table et que la soupière fumait, maman disait parfois :

- Cessez un instant de boire et de parler.

Nous obéissions.

- Regardez-vous, disait-elle doucement.

Nous nous regardions sans comprendre, amusés.

- C'est pour vous faire penser au bonheur, ajoutait-elle.

Nous n'avions plus envie de rire.

- Une maison chaude, du pain sur la nappe et des coudes qui se touchent, voilà le bonheur, répétait-elle à table.

Puis, le repas reprenait tranquillement. Nous pensions au bonheur qui sortait des plats fumants, qui nous attendait dehors au soleil. Et nous étions heureux. Papa tournait la tête comme nous, pour voir le bonheur jusque dans le fond du corridor. En riant, parce qu'il se sentait visé, il demandait à ma mère :

- Pourquoi tu nous y fais penser, à ce bonheur ?

Elle répondait :

- Pour qu'il reste avec nous le plus longtemps possible.

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PIEDS NUS DANS L'AUBE de Félix Leclerc 

Lecture complète du livre par Théodore Pellerin à retrouver ici 

livre à se procurer ici

 

 

 

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Publié le 25 Décembre 2013

Jeu de piste

-  Antoine, comment qu’tu disais ?

- Quoi ?

- Ben, le chose là, le spooort…

- Le géocaching ! C’est un jeu de piste avec un GPS et…

- Et quoi ? Tu sais, la géographie et moi…

- Pourquoi tu poses des questions si tu n’écoutes pas les réponses ?

- Pasque… pasque… je m’ennuie tiens ! Rester cloué sur une chaise devant la fenêtre alors que pourrais être dehors à fendre du bois ou dans la remise à préparer mes nouvelles rames à haricots avec la porte ouverte sur la campagne enneigée ça me démange !

- T’avais qu’à pas vouloir grimper à l’échelle, à ton âge !

- Mon âge, quoi qu’il a mon âge ? C’est le même que l’tien ! J’pouvais quand même pas laisser pendre les stalactites au-dessus de la porte, ça peut tuer quelqu'un ces glaçons quand ils se détachent du toit.

- Ou quelqu’une ? … la postière par exemple…

- Et gna, gna, gna… t’es qu’un jaloux mon pote !

- Jaloux de ton pied cassé ? Allons bon Alexis tu gamberges là !

- Fais pas ton intéressant avec tes mots à cinq sous…. Géocachette, géo..

- Géocaching !

- Oui, bon si tu veux… dis-moi Antoine, tu crois que tous ces gens qui passent sur le chemin, à pied ou à ski ils cherchent un vrai trésor avec leurs GPS ?

- Ben non, ils s’amusent à se repérer et ils découvrent le pays.

- (soupirs)… Antoine ?

- Quoi encore ?

- Tu ne nous resservirais pas un peu de gnôle ?

- Si tu me prends par les sentiments…

- A la tienne ! … Dis, nous aussi nous faisions de jeux de piste quand nous étions mômes, tu te souviens ?

- Mumm !

- Et pour nous repérer, Antoine, on a toujours regardé le soleil et les étoiles dans le ciel ou les lumières dans la vallée…

- Mumm !

- Mumm, mumm ! Tu finiras vache mon cher !

- Et toi, tu n’es qu’un vieux rétrograde.

- J’ai peut-être pas de grade mais je vais te dire, toi et moi on devient grognons à rester enfermés. Vivement le printemps !

- Ecoute, voilà la factrice !

 

- Bonjour ! Monsieur Antoine je pensais bien vous trouver ici... voici votre courrier et voilà votre journal, Monsieur Alexis.

- Merci Marinette ! Et la route comment elle est ? Pas trop difficile la tournée ?

- Salut Alexis, au revoir Marinette, je vous laisse papoter…

- Et gna, gna… Un peu de calva, Marinette ?

- Allons, allons, Monsieur Alexis… Oh ! et puis zut pour le règlement, il fait si froid dehors ! Une larme, Alexis, rien qu’une larme !

- Dites-moi, Marinette, vous connaissez le géocaching ?

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Frits Thaulow - clic  --  Pour Miletune - clic

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Publié le 22 Décembre 2013

-  Holà ! Tout doux ! Les cordons de ma bourse tu ne délieras point, s’était exclamée Dame Arégonde en saisissant la main de l’enfant chapardeur.

Un moment leurs regards s’étaient croisés et celui de la femme s’était attardé sur la chevelure rousse et sale du gamin.

- Tu as faim ?

Le petit, la main toujours emprisonnée dans celle de la dame, opina de la tête.

- Tu es seul ?

L’enfant acquiesça à nouveau puis d’une voix peureuse précisa :

- la grande maladie a saisi toute ma famille.

Le marché, quasi-désert en cette heure de mâtine, était traversé par une bise glaciale et l’enfant tremblait de froid et d’effroi. Etait-ce la raison qui poussa Dame Arégonde à emmener l’enfant chez elle ? Ou alors était-ce une solidarité inconsciente envers ce rouquin, probable objet de moqueries comme elle en avait connu elle aussi…

- Ebroïn, voici Colin. Si tu es d’accord, ce petiot pourra t’aider dans ta tâche et me rendre de menus services.

Maître Ebroïn, le menuisier, délaissa son outil et évalua le gamin :

- tu n’es pas bien gras mais tes bras semblent solides. Sais-tu compter ?

- Oui et je suis débrouillard, se risqua Colin en évitant de regarder la dame qui sourit.

De ce jour, Colin oublia la rue et la faim. Les brouets de Dame Arégonde, le pain qu’elle faisait cuire chaque semaine dans le four banal lui rendirent des rondeurs de poupon. Levé tôt, il ravivait le feu dans l’âtre puis sortait au jardin puiser de l’eau avant de retrouver Maître Ebroïn dans la bonne odeur de l’atelier de menuiserie. Cet univers était neuf pour l’enfant mais tout l’y intéressait. Les outils, les différentes essences de bois, les plans dessinés avec soins et expliqués par Maître Ebroïn, le passionnaient. Quelques fois, ils se rendaient chez l’un ou l’autre client pour prendre des mesures ou livrer un ouvrage. Souvent, dans l’après-midi, Dame Arégonde les rejoignaient dans l’atelier, toujours en activant la quenouille. C’est qu’elle était douce la laine de ses quatre moutons et promesse de châles chauds et d’écharpes moelleuses. Avant la fin du jour, Colin était chargé de récolter les œufs dans le petit poulailler et de rentrer une réserve de bois à poser près de la cheminée. En soirée, les chants étaient au rendez-vous et tout en chantant l'enfant aidait Dame Arégonde à remplir de fins copeaux de bois des paillasses qu’elle avait confectionnées dans du drap et qu’elle revendait à qui venait frapper à sa porte. C’est sur une couche aussi douce que Colin s’endormait enfin dans un coin de l’atelier.

- Mon ami, dit un jour Dame Arégonde à son mari, j’ai souhaité que tu me confectionnes une maie plus grande mais ne vois rien venir. Toujours d’autres commandes ont la priorité… cependant… il serait temps… que tu prévoies un berceau à glisser dans la ruelle de notre lit.

Tout heureux Maître Ebroïn se mit aussitôt à l’ouvrage mais Colin faisait grise mine et les questions se bousculaient sous sa crinière rousse.

Dans quelques années mon maître aura de la relève, lui serai-je encore utile ? Devrais-je repartir seul sur les routes ?

- Voyons, Colin, dit Dame Arégonde, ne te fais pas de souci. N’es-tu point bien céans ?

Alors Colin, le petit chapardeur, eut une pensée pour ses parents disparus et, confiant, il sourit à la vie.

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