Les rites

Publié le 11 Octobre 2013

         Notre oncle Ralph avait ses rites et à part son épouse tante Maud qui en sourdine râlait - le parquet de maman sera encore griffé ! - nous étions heureux de les retrouver fidèles au rendez-vous.

Le Jour de l’An, alors que nous en étions à l’apéritif, il descendait du grenier la vieille chaise en bois, héritage d’une lointaine tante Norine et l’installait dans un coin du salon qu’il dégageait d’autorité sans pour autant se départir de son calme habituel. 

Dessus il posait son violoncelle, aussi pendant le repas les deux essences sagement se tempéraient, absorbant fibre après fibre l’ambiance de la pièce.

Bonne-maman rayonnait, comblée d’avoir sa tribu tout à elle. Longuement elle avait mitonné un menu, toujours différent, et secondée par nos tantes, nous le présentait avec amour.

Quatorze couverts ! La table munie pour l’occasion de ses rallonges n’aurait pu offrir davantage de place et c’est au coude à coude qui nous dînions joyeusement. Les six petits-enfants dont je faisais partie, regroupés en bout de table, étaient servis en premier afin de leur permettre d’extraire au plus vite de l’armoire d’antiques jeux de société qui pour une heure ou deux retrouvaient vie.

Les adultes discutaient, riaient d’anecdotes diverses ou se rappelaient quelques souvenirs d’enfance tandis que nous partions à la recherche d’un pion ou d’une carte mystérieusement disparus.

Dès la fin du dessert, alors qu’à la cuisine le brouhaha de vaisselle était à son comble, oncle Ralph discrètement s’éclipsait pour réapparaître un quart d’heure plus tard totalement métamorphosé. Lui toujours vêtu d’un costume strict et de mocassins se présentait à nous pieds nus et affublé d’une djellaba confectionnée sur mesure dans un beau lainage doux par son ami Shamir.

« Pas de cilice sous la bure » disait invariablement tante Maud. Cette phrase, rituelle elle aussi, faisait pétiller les yeux d’oncle Ralph mais restait pour nous un grand mystère. Dès ce moment, le calme s’installait et Bon-papa éteignait le grand lustre suspendu au-dessus de la table. Seul les spots de la cuisine et une lampe de salon restaient éclairés. D’un petit coffret en bois oncle Ralph sortait deux cailloux et un oiseau naturalisé qui nous intriguaient. Avec douceur et minutie, il les posait l’un sur l’autre sur le sol.

- Minéral et animal, murmurait tante Maud.

Alors oncle Ralph saisissait avec précaution son violoncelle et prenait place sur la vieille chaise gémissant sous son poids. Fascinés, nous suivions chacun de ses gestes.

Les cordes de l’archet et de l’instrument étaient tendues puis doucement l’un effleurait les autres et les sons apparemment décousus s’enchaînaient jusqu’à trouver la note juste. Silence ! Les yeux fermés notre oncle se concentrait puis le violoncelle bien positionné il entamait avec brio une suite ou un concerto. Le temps alors s’envolait nous transportant vers des mondes que seul notre imaginaire d’enfants pouvait créer.

Oncle Ralph qui ne connut jamais le bonheur d’être papa nous fit ainsi découvrir Bach ou Vivaldi, Ysaÿe, Jolivet… Beethoven, Chopin ou encore Brahms mais jamais le pourquoi de l’oiseau et des pierres…

De ces jours heureux, nous gardons tous les six, un amour pour la musique et, il faut l’avouer, pour la mise en scène. Aussi, il n’est pas rare de nous retrouver pour jouer ensemble quelques morceaux actuels ou classiques.

Merci oncle Ralph !

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Déborah Van Auten  -  Pour Mil et une - clic

 

Rédigé par Mony

Publié dans #Mes sucres d'orge, #Moments de vie, #Chemin d'amitié

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L
Quel beau récit, chère Mony! Et quel beau souvenir! Ce sont des images qu'on n'oublie pas. Ce qui nous émeut dans l'enfance reste à jamais marqué.<br /> Bonne semaine à toi,<br /> Lorraine
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B
Très joli texte ! Ah, ces dimanches-là ..... Ces réunions de famille qui nous soudaient les uns aux autres....
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A
peut-être que j'aurai adoré la musique si j'avais eu un musicien dans la famille, ce ne fut pas le cas alors j'essaie de me familiariser avec elle .
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E
c'était au temps d'avant la télé, quand on avait le temps de voir ses proches, une histoire un peu mystérieuse, et très chaleureuse
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L
Quel personnage, cet oncle Ralph ! Et la scène familiale que tu décris dans ce texte, est vraiment délicieuse. On aimerait tous avoir ce genre de souvenir, Mony. Quant à l'amour de la musique...c'est un cadeau précieux.
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