Mes voix
Publié le 14 Décembre 2012
Qu’elles parlent ou qu’elles chantent, les voix graves me font chavirer à chaque fois que je les entends. Voix de
mâles, viriles, chaudes et sensuelles, elles me ramènent parfois à califourchon sur les genoux de mon père.
"Voilà Papa " annonçait Maman.
A peine rentré de son travail, sans avoir le droit de souffler un instant, nous nous installions, lui et moi,
dans le fauteuil de velours vert accolé à la grosse cuisinière et il chantait alors de vieilles chansons populaires transmises de génération en génération.
Malbrough s’en va en guerre, miroton, miroton, mirotaine,
Malbrough s’en va en guerre ne sait quand reviendra,
Ne sait quand reviendra
Ne sait quand reviendra
Sa belle voix m’emmenait dans le sillage de Malbrough. Comme par magie, je m’évadais de la cuisine, devenais la Dame
qui à la tour monte si haut qu’elle peut monter et j’apercevais au loin mon page, mon beau page tout de noir habillé.
Quand Monsieur Malbrough était mort et enterré, je réclamais sans état d’âme une autre chanson et tant pis pour
Malbrough, le page me semblait bien plus à mon goût.
Papa s’exécutait de bonne grâce en enchaînant " Marie clap' sabots " en wallon.
Avé, Marie clap’ sabot
R’trossez ben vos’ cotte
Quand vos irez… houplala
Elle m’intriguait cette mystérieuse Marie clap' sabot, pourquoi devait-elle bien relever sa robe ? Et pour quoi faire
? Quand vos irez, houou ! Comme à chaque fois, je me laissais surprendre et je basculais en arrière dans un éclat de rire.
Maman allait et venait, dressait la table tout en surveillant la cuisson du repas ; mes frères occupés à réaliser un
circuit automobile avec des cubes ne prêtaient pas attention à nous et j’avais la sensation d’avoir Papa pour moi seule. C’était un de ces moments privilégiés où je me sentais princesse parmi les
miens, princesse bientôt secouée par le galop d’un cheval.
A cheval sur mon bidet
Quand il court,
Il fait des pets,
Prout, prout, prout Cadet
Papa écartait les jambes et soutenue par ses mains, je tombais confiante dans le vide.
Mais déjà le repas était servi et les bras passés autour du cou de mon père, l’oreille collée contre sa poitrine, je
ressentais les vibrations de sa voix plus que je n’écoutais une dernière ritournelle
J’ai du bon tabac dans ma tabatière,
J’ai du bon tabac,
Tu n’en auras pas !
Depuis, bien des années se sont écoulées et pour mon bonheur une autre voix grave résonne à mes côtés.
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