Le matoufet de Mémé
Publié le 28 Avril 2012
Ce jeudi là, c’était son anniversaire. Quel âge avait-elle ? En réalité, je ne le sais plus. Vieille assurément, c’est ainsi que je l’ai toujours perçue. Une grand-mère se doit d’être vieille, c’est dans la nature des choses et même à l’époque où elle dissimulait ses beaux cheveux blancs sous un horrible fixateur qui leur donnait une teinte mauve c’était une grand-mère comme les autres.
- Bon anniversaire Mémé. Tu vas bien ?
Quelle question stupide et comme ma voix sonnait faux ! Pourtant, Mémé imperturbable continuait ses activités.
- Que fais-tu aujourd’hui ?
Long silence. Puis brusquement la réponse franchit ses lèvres.
- Je plie du linge.
Silence encore.
- Il a bien séché avec tout ce vent.
Troublée, je jetai un regard vers la haute fenêtre. Oui, le vent était au rendez-vous qu’il avait fixé avec la neige et coquin, il l’emmenait dans des tourbillons fous. Les bras de Mémé semblaient eux aussi participer à cette sarabande. Ils se tendaient de gauche à droite, ses mains lissaient encore et encore et subitement, leur travail terminé, elles se figèrent sur la table.
- Les soldats allemands passent sur la grand-route. Ils fuient, je les ai vus toute la journée… Mon mari va rentrer, je dois préparer le souper.
- Que prépares-tu Mémé ?
Une seconde elle hésita, le front plissé, soupçonneuse.
- Du matoufet, tu le vois bien.
- J’aime bien ton matoufet, Mémé. Tu m’expliques comment tu le fais ?
Pas de réponse. Sans cesser de l’observer, je jetai un coup d’œil rapide en direction de la commode. Dans un cadre doré mon grand-père, ce bel inconnu, gardait une pose altière depuis plus de trente ans.
- Tu coupes quoi Mémé ?
- Du lard… en petits morceaux.
- Tu le rôtis à la poêle à présent ?
Silence. Mémé s’activait.
- Faut des œufs et pas oublier la farine et le lait.
- Voilà, Mémé et j’ai même pensé au poivre et au sel.
Sur le bord d'un plat imaginaire ma grand-mère cassait déjà la coquille des œufs et les battait avec vigueur, ajoutait d’instinct la farine et le lait, le sel et le poivre, continuait à battre le mélange pour bien l’aérer et d’un geste sûr elle le versait sur les lardons croquants à souhait. Fascinée, je suivais tous ses gestes et la poêlée imaginaire de matoufet prit vie dans mon esprit et dans mes narines.
- Il est en retard. Je vais me reposer un moment en l’attendant.
Et Mémé, épuisée par tous ses efforts, s’assoupit dans son fauteuil me laissant seule face à la réalité. Seule et affamée.
« Bon anniversaire Mémé »
Un petit baiser sur son front, une caresse sur sa main et je quittai la maison de retraite heureuse d’avoir pu pénétrer un court instant dans son univers si particulier.
------------------
- Que mange-t-on ce soir, M’man ?
- Du matoufet.
- Miam ! Super !
Merci, Mémé !