Bon voyage !
Publié le 25 Octobre 2012
« Bon voyage ! »
Le ton rauque de la voix d’Adrien me
fait sursauter. D’une simple inclinaison de la tête, je remercie mon frère et Adrian de son air renfrogné, véritable marque de son caractère taiseux, me tend alors mon petit bagage. Il ne faut
pas tarder, l’embarquement est prévu à 16 heures. Le cœur battant d’excitation, je rejoins le groupe de voyageurs. Nous sommes au nombre de sept, trois femmes et quatre hommes, tous plus âgés que
moi.
D’un dernier geste, j’envoie un baiser à Adrian et déjà il se détourne. Je ne lui en veux pas, je le sais malheureux
de ne pouvoir m’accompagner. Ce voyage c’était son rêve à lui aussi mais ce bras cassé et mal rétabli l’empêche de tenter le challenge qui nous attend. L’heure n’est pas aux attendrissements
pourtant j’aurais tellement aimé le sentir à mes côtés.
…………………..
Nous roulons depuis des heures. Les conversations du départ se sont petit à petit effilochées et hormis le bruit du
véhicule le silence s’est installé. J’essaie en vain de dormir, trop tendue je n’y parviens pas. Ce but à atteindre je l’espère depuis tant de mois. Sou après sou, il m’a fallu épargner longtemps
pour pouvoir m’offrir ce voyage et enfin je suis en route. Je vais voir d’autres paysages, connaître des coutumes différentes ; mes pensées se bousculent et me projettent vers ces jours qui
m’attendent. Je les imagine heureux, chargés de découvertes intéressantes, de rencontres et de surprises. Tout autour de moi le moteur ronronne, apaisant, tellement apaisant.
Le calme soudain me réveille. Il me faut un moment pour réaliser où je suis. Les femmes chuchotent, je comprends
qu’elles espèrent une pause pipi attendue par tous. Le chauffeur déverrouille la porte et nous pouvons enfin nous dégourdir les jambes et nous soulager derrière quelques buissons. Le trafic est
fluide à cette heure de la nuit, des camions et encore des camions se dirigent vers la frontière proche à présent.
…………………..
Première frontière... traversée d’un pays... seconde frontière… Sous les roues les kilomètres défilent et peu à peu,
entre les haltes de repos ou de ravitaillement, je perds la notion du temps. Le chauffeur peu loquace annonce : Germany puis bien plus tard Belgium.
« Belgium » !
Tout bas, je répète ce mot que j’ai repéré sur la carte avant le départ. Belgium, petit pays si prêt de notre
destination. Bientôt nous serons sur le ferry voguant vers l’England.
J’ai faim, j’ai soif, je me sens crasseuse, mon dos n’est que douleurs mais mon cœur est léger, léger. Adrian sera
fier de moi !
………………..
Le véhicule ralentit, s’arrête et nous entendons des voix proches de nous, trop proches de nous. Le chauffeur
discute, sort du camion, ouvre les portes. Silencieux, osant à peine respirer nous sommes tétanisés par l’angoisse. Un chien aboie, ma voisine éclate en pleurs tandis que la cloison nous séparant
du reste de la cargaison est déplacée. Tout se passe comme dans un rêve au ralenti, ouaté et totalement irréel. Je vais me réveiller, il le faut. Adrian, l’England…
Papiers, passeport, visa ?
Passagers clandestins sans identité, parias venus de l’Est tel est notre nom. Où serons-nous demain ?
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