Eau, source de Vie

Publié le 30 Juillet 2019

 

Détendez-vous, laissez voguer votre esprit librement, dit la Voix.

Voguer… voguer au fil de l’eau.

A chacun de nos coups de rame mon ami Victor marque la cadence d’un ho ! sonore.

Mes paluches ne sont que cals et pourtant manier l’aviron dans le courant, avec ou contre lui, quel bonheur !

Pas gaies tes mains, elles sont rêches et m’éraflent la peau, pique Anouchka en refermant presto son peignoir à fleurs.

Pagaie, pagaie !

Pas gaies les mains, pas gaie Anouchka ! Non, ce n’est pas gai, je le confirme.

C’est l’été, le soleil vous dore la peau, vous ressentez un bien-être immense, poursuit la Voix.

Dorer la peau ? La cuire, la rougir plutôt, pas blond pour rien. Et rougir de honte, les mains agrippées à la planche du plongeoir puis lentement, lentement, reculer un genou, une jambe et ravaler ma trouille.

Faire le pitre. Même pas peur ! Sauter dans le vide comme si de rien n’était, ressentir le contact de l’eau libératrice de la frousse et porteuse de promesse du tant espéré brevet de natation.

Mais pourquoi fait-il aussi chaud ? Pour dorer ? Encore ?

 Souvenez-vous d’une histoire d’eau, suggère à présent la Voix.

Une histoire d’os ? Et pourquoi pas de mort tant que l’on y est ?

Ma sœur est fière de sa collection de coquillages, moi, à son grand dégoût, je récolte des os de seiche. Elles ont un peu la forme d’une planche de surf sur laquelle je rêve de conquérir la mer. Maman refuse cette idée, moi je m’y accroche étalant ici et là mes trésors.

Tu vois, c’est un sport qui peut s’avérer dangereux. Nul besoin de la précision donnée par ma mère, la seule vue du cadavre d’un planchiste au fond du canot de sauvetage suffit à m’en convaincre.

Une histoire d’os, disait la Voix. Pourquoi ? Serais-je en danger moi aussi ? Vraiment ? Je m’accroche une fois de plus.

Mais elle poursuit…

Laissez voguer votre esprit, souvenez-vous d’un voyage lointain…ou pas.

Les voyages forment la jeunesse, disait Bon-Papa et Mémé ajoutait voir Venise et puis mourir. Elle est partie trop tôt sans avoir eu le loisir ou les moyens d’y mettre les pieds. Bon-Papa, lui, rattrape le temps perdu. A bord de navires de croisière il conquiert le monde. Lui, moi, nous qui envahissons en foule le moindre recoin qu’en faisons-nous de cette vieille dame, la Terre ?

J’aimerais tellement rentrer chez moi… dormir… mais la voix me réveille, impitoyable…

Vous est-il arrivé de sauter de joie alors que les circonstances ne se prêtaient pas à l’exubérance ? Oui, probablement, cherchez bien…

… j’avais un contrat de travail à durée indéterminée en poche et, oui, après avoir tant ramé en passant d’un petit job à un autre, j’allais enfin pouvoir penser à mon avenir. Quitter la maison familiale, payer un loyer sans souci, vivre avec Anouchka… ou pas, me gréer ce cours de peinture dont je rêvais depuis longtemps et…

Un orage violent, avec ses éclairs zébrés et sa pluie violente, a à peine ralenti mon enthousiasme tant j’avais envie de chanter, de danser, de crier mon bonheur aux passants courant pour se mettre à l’abri.

Quand j’ai rendu son costume et son parapluie à oncle John il n’a pu s’empêcher de faire la grimace. Mais malgré le tissu fripé et encore légèrement humide il ne m’a fait aucun reproche, tout heureux d’avoir pu m’épauler à sa façon pour décrocher ce boulot. Jamais je n’ai osé lui avouer avoir oublié d’ouvrir le pépin pour nous protéger, ses vêtements et moi, des trombes d’eau…

Je ne saute plus de joie mais la fournaise a laissé place à la pluie. Depuis combien de temps ? Peu importe, je la sens tomber sur moi par la fenêtre cassée et mouiller mes lèvres desséchées…

La Voix s’est tue ou alors ne suis-je plus capable de l’entendre. Il me semble tourner en rond dans un bocal comme le faisaient inlassablement les poissons rouges de tante Miette.

Tante Miette, aussi neurasthénique que ses cyprins dorés à qui elle distribuait avec parcimonie quelques granulés de nourriture sur lesquels, soudain intéressés, ils se jetaient avidement.

Oublier ma propre faim, tenter de crier encore et encore pour avoir une chance de me faire repérer par un passant, ne pas dormir, ne pas écouter la Voix si elle se fait à nouveau entendre.

Cherche-t-elle à m’amadouer ? Et si c’était la Mort ? Ne pas y céder, tenir encore…

Monsieur ? Monsieur ?

Je vois une main ouvrant la portière de la voiture et s’avançant avec précaution vers mon épaule droite. Des gens parlent, téléphonent. Un gyrophare émet une lumière d’aquarium. Une sirène hurle au loin.

Je ne suis pas mort ? Vivant, je suis VIVANT !

Cinq jours que l’on te cherche partout, dit avec émotion une voix aimée…

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Pour Mil et une sujet sujet 28/2019 - 2ème jeu de l'été - clic

 

Rédigé par Mony

Publié dans #Moments de vie

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C
Tu mènes toujours aussi bien ta barque Mony en voguant sur les sujets avec une aisance incroyable et en jonglant avec les mots! Jamais à cours d'imagination et s'est toujours si joliment tourné. toujours le même plaisir à te lire. Merci de ton passage. Bisous. chloé
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C
Merci Mony pour ton passage sur mes pages. Ici , pour le moment , çà sent encore les vacances. Je reviendrai. Porte toi bien.
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M
Se gréer du bon temps - s'octroyer, s'offrir. Après enquête dans mon entourage l'expression est couramment employée dans la région. J'ai recherché une éventuelle orthographe différente sans succès. Et vive les langues vivantes ! Merci Emma.
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E
bizarre bizarre, mon com s'est envolé... voilà un scénario stressant et bien original, super ! que veut dire "me gréer ce cours de peinture ", c'est la langue de chez vous ?
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M
Merci pour vos commentaires :)
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M
quel enchaînement ! Bravo !
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C
N'est pas vivant qui veut. Encore faut il savoir aimer les autres, aimer la vie , l'apprécier, en prendre soin .
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A
Vraiment un beau récit, Mony, je reviens te le dire ici et très original quant à la chute, bravo:)
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